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Publié le 22 septembre 2011 par Sophielucide

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L’innocence  incarnée par l’adorable bébé paraît exacerber la cruauté de ses aînés ; la petite en prend conscience très vite tout en admettant la part d’irresponsabilité d’une mère absente d’elle-même, indifférente aux cris de douleur, interprétés comme caprices plutôt qu’appels à la rescousse. Les expériences cesseront d’elles-mêmes dès lors qu’elles n’ont aucune portée dans le cœur gros d’une génitrice en perpétuelle auto flagellation. Ils auraient peut-être aimé pousser un peu plus loin ce sadisme enfantin, mais il ne sert à rien sinon les rendre plus misérables encore, alors ils intègrent l’innocent comme la fleur  qu’ils avaient jetée pour un temps dans le fossé d’orties arrosé par l’amer.

La petite fille, tout comme ses frères ou bien sa mère, s’est elle aussi lassée de jouer à la poupée avec le baigneur qui ne sait même pas nager. Jouer à la poupée n’a rien d’un préambule à la vie toute tracée des petites filles ; jouer à la poupée c’est taper sur un morceau de plastique, brûler les cils synthétiques, crever les billes bleues et découvrir le ressort qui se cache derrière…

Elle abandonne cette tâche ingrate à sa sœur, devenue indispensable au petit frère qui ne tend les bras qu’à elle. Après le bain du soir, la grande présente fièrement le bébé à ses parents qui posent un baiser sur son front avant de reprendre le fil de leurs imbroglios conjugaux.

La petite découvre ainsi sa lâcheté, comme une marque de fidélité à cette mère qui semble la cautionner. Parce qu’elle fournit à l’école un travail irréprochable et même félicité, la petite est épargnée des tâches domestiques. Lâcheté et facilité deviennent les mamelles d’une personnalité qui se dessine en creux. Elle n’aime pas que la mère mette devant les autres une connaissance qu’elle sait ne devoir qu’à l’isolement qu’elle lui procure, mais elle aime aussi cette distinction au regard de celle qu’elle aime plus que tout et malgré elle. Une colère qui ne faiblira jamais nait de ce constat : aimer ce qu’on ne respecte pas, tout faire pour ne pas ressembler à cette sorte d’ectoplasme incapable de donner un avis ou émettre un choix, mais apte à sortir les pires raccourcis sans en prendre jamais la mesure, mais continuer, coûte que coûte, d’aimer cette personne-là…

Ainsi, quelques semaines avant sa communion, mère et fille ont eu une première conversation dite sérieuse, dont peut-être la gamine ne s’est jamais véritablement remise.

La mère a commencé par flatter sa cadette qui portait si bien le prénom choisi par son père. Oui, elle s’était toujours montré sage, travaillait bien à l’école, ne donnait aucune difficulté à ses parents, une petite fille modèle en quelques sortes…. La petite pince les lèvres en taisant les pensées qui l’obsèdent « si elle savait… »  avant que sa mère ne poursuive sur un ton différent : maintenant qu’elle a sept ans, qu’elle est sur le point de communier, qu’un bébé est entré dans le foyer, il est temps de cesser cette habitude pour le moins puérile de téter convulsivement cette sucette qu’elle cache sous son oreiller ! D’autant que ce geste compulsif s’accompagne d’un autre tic qu’il s’agit d’abandonner. La petite fille rougit. Prise en flagrant délit de besoin de douceur ! Comment nier ? C’est vrai, elle a deux « néné », le premier qu’elle suce frénétiquement, assorti d’un deuxième, usagé,  dont elle se sert pour caresser sa joue. Du jour au lendemain, elle apprend que cette sinistre habitude est honteuse. Qu’il s’agit de la faire cesser au plus vite et sans conditions ! Comment faire autrement qu’obéir à sa mère, même si intimement elle prend cet ordre comme un odieux chantage ? Bravement, elle va chercher sous l’oreiller les objets de son addiction et les tend à sa mère comme Vercingétorix a rendu les armes à César. Les yeux baissés sur une faiblesse remplacée aussitôt par une animosité née de l’incompréhension. Encore et toujours, matée par cela : son inaptitude face à la vie réelle. Cet engagement n’en est pas un, il ne s’agit que d’une question de pouvoir et rien d’autre. Sa mère a gagné une bataille mais pas la guerre ! Car c’est bien une guerre qui commence et la petite va découvrir à quel point sa mère est plus à l’aise dans le conflit, quand bien même elle se replierait ostensiblement dans le camp des perdants. La petite fille, quand à elle, vient paradoxalement de se découvrir une âme combattive. Elle ne se doute aucunement que c’est, une fois encore, donner raison à sa mère en jetant les bases d’un portrait sans nuances de la petite enfant triste.