Lucien Jerphagnon, érudit en toute simplicité

Publié le 22 septembre 2011 par Lauravanelcoytte

 19/09/2011 | Hommage |

Spécialiste de l’Antiquité et de Saint-Augustin, l’historien et philosophie Lucien Jerphagnon s’est éteint d’un cancer, ce samedi 16 septembre 2011 à l'âge de 90 ans. Disciple de Jankélévitch et maître de Michel Onfray, il laisse derrière lui l’image d’un jovial chasseur de clichés.


 Si le Jerph’ vous intrigue, c’est qu’il cherche ce que vous aussi vous cherchez : l’infini, bien sûr, que nous ne trouverons pas. Mais l’entrevoir mériterait déjà de venir en ce monde ». C’est par cette phrase que Lucien Jerphagnon avait tout récemment accordé à Christiane Rancé une série d’entretiens. Leur compilation, qui vient de paraître chez Albin Michel porte le titre De l'amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles, un titre où se lisent à la fois la sapience et la grande simplicité de l’historien philosophe.
Un érudit allègre
A 90 ans, Lucien Jerphagnon avait encore la vivacité d’un jeune homme. Avant de moissonner pour Christiane Rancé les souvenirs de sa jeunesse à Bordeaux, de la déclaration de la guerre ou de sa déportation en Allemagne, l’auteur avait publié en 2010 un réjouissant essai sur la sottise, florilège de réflexions sur ce travers « atmosphérique et puisées aussi bien chez les Hébreux que chez les journalistes de nos Républiques. («La... Sottise? (Vingt-Huit siècles qu'on en parle), éd. Albin Michel). Né à Nancy en 1921, l’historien avait suivi les cours de Jean Orcibal, grand spécialiste du jansénisme et du mysticisme avant de devenir l’assistant de Vladimir Jankélévitch puis le professeur de Michel Onfray et l’éditeur de Saint-Augustin en Pléiade.
Un parcours bien peu ordinaire pour celui qui dédia précisément sa thèse de doctorat…à la banalité (De la Banalité. Essai sur l'ipséité et sa durée vécue, Vrin, 1966). Auréolé d’une multitude de diplômes et distinctions – Docteur en philosophie et en psychologie, membre de l’Académie d’Athènes, lauréat de l’Académie française et de l’Académie des sciences morales et politiques… – le grand homme refusait cependant de se prendre au sérieux. «Je suis une barbouze de l'Antiquité, un espion, déclarait-il. Je ne suis pas un intellectuel, je n'estime pas mes idées imputrescibles. D'ailleurs, je me garde de l'esprit de sérieux: il vous conduit toujours à la connerie.»
 Le « maître » de Michel Onfray
Lucien Jerphagnon fut pourtant un « professeur d'exception », à en croire Michel Onfray, qui eut « le coup de foudre » en cours de philosophie antique et médiévale de l'université de Caen. Et l’émérite, en effet, qui estimait « manquer à la politesse » en s’exprimant de « façon abstruse » ou peu claire, s’efforça toujours de présenter les concepts de sorte que « l’astuce fasse corps avec l’idée ».
Mais sa préoccupation la plus grande fut peut-être de lutter contre les certitudes et les idées reçues. Saint Augustin, un joyeux drille ? « Foutaise ! », disait-il. Plutôt un sacré « arriviste » qui de nos jours, « aurait fait l'ENA et planifié sa carrière » ; Néron, un abominable tyran ? Plutôt un homme « bien brave, mais trop fantaisiste, trop artiste, et froussard avec ça. »...
Auteur d’une trentaine d’ouvrages dont une imposante Histoire de la Rome antique et plusieurs essais sur Pascal, Julien, dit l'Apostat ou Le Divin César (Tallandier 2004), Lucien Jerphagnon était capable d’évoquer équitablement Saint-Augustin que le général de Gaulle, Paul Veygne , Pierre Dac (un autre idole) ou Umberto Eco, dont il aurait lu Le Nom de la rose plus de cinquante fois…
Alors certes « le Jerph’ » n’a pas trouvé l’infini, mais certainement l’a-t-il plus d’une fois entrevu.

Crédit photo : © © Barsacq

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