Les ravages du viol

Publié le 25 février 2008 par Elisabeth Leroy

Le viol, dans la société ancienne, compromet la victime autant que l'agresseur.

"Luxure à force" dit un traité du XVIe siècle, "crime de paillardise qui se commet par contrainte" dit un autre texte un siècle plus tard. La victime y est prisonnière de son univers de faute, sourdement condamnée pour avoir été "souillée".

En 1782, Charles MARTIN, dont la fille de quatorze ans dit avoir été violée par le "sieur Bazan", fils d'un marchand d'estampes de la rue Serpente, traduit d'abord cette sensibilité ancienne dans une longue lettre au procureur du roi :

"tout espoir d'établissement est perdu pour elle, toute innoncente qu'elle est, elle sera l'objet du mépris éternel de la société. La perte de l'honneur, celle d'un état, l'exil de la société sont des maux les plus cruels".

Les marchands qui emploient Catherine MARTIN à la confection de dentelles l'ont renvoyée sous des prétextes embarrassés. Le père se dit convaincu du rejet social de sa fille et réclame une lourde compensation financière à la famille Bazan dont la fortune est connue.

Ces propos disent combien c'est la virginité perdue qui provoque ici le signe d'avilissement, la clef d'un enjeu d'honneur, au point d'apparaître en flétrissure définitive. Ils disent encore combien c'est le contact subi qui fait l'indignité de la victime, sa participation à un univers impudique et réprouvé.

Il faut une mutation de moeurs pour que la souffrance psychique de la victime s'impose sur cette indignité sociale.

Une nouvelle de Maupassant en 1882, "Madame Baptiste", montre clairement l'amorce de cette prise de conscience.

Récit décisif où Maupassant pressent la souffrance intime d'une enfant victime de viol tout en insistant sur l'incompréhension dont elle est entourée.

Les traces psychologiques n'ont de place ici que sous la plume de l'écrivain.

Ces traces se sont imposées aujourd'hui. Elles ont en partie donné leur sens aux grands procès de viol.

"Le viol, ça été le saccage, ça été la destruction de nous-mêmes" disaient des victimes. Et leurs proches : "Elles meurent à petit feu depuis quatre ans et je me meurs avec elles".

Leurs avocats : "il leur faut vivre avec cette mort entrée à tout jamais en elles un jour de violence". Ce que disent encore les experts : "quelque chose de très important a été tué en elles, peut-être le sentiment de leur valeur personnelle, de leur identité, d'être une femme".

La référence au traumatisme intérieur, allusion psychologique évoquée par quelques savants au début du XXè siècle, longtemps absente des propos tenus par les victimes comme par les défenseurs ou les experts, devient une des références majeures pour qualifier la gravité du crime. Non plus le poids moral ou social du drame, non plus l'injure ou l'avilissement, mais le bouleversement d'une conscience, une souffrance psychologique dont l'intensité se mesure à sa durée, voire à son irréversibilité.

La privatisation de l'existence, cent fois étudiée aujourd'hui, développe une sensibilité plus réceptive à la souffrance psychique, plus vulnérable aux conflits internes ou personnels. L'enjeu tragique du viol devient celui d'une identité brisée.