Notes de l’isba (13)
De l’autre vie. - Enfin Kolia demande à Karamazov : « Est-ce vrai ce que dit la religion, que nous ressusciterons d’entre les morts, que nous nous reverrons les uns les autres, et tous, et Ilioucha ? »
Alors Karamazov : « Oui, c’est vrai, nous ressusciterons, nous nous reverrons, nous nous raconterons joyeusement ce qui s’est passé ».
Et moi : je ne sais pas, ce n’est pas sûr tout ça, enfin moi je n’en suis pas sûr, mais ce qui est sûr c’est ça : c’est que nous nous racontons et nous raconterons à n’en plus finir et joyeusement tout ce qui s’est passé, ainsi les livres sont-ils une préfiguration de la joyeuse conversation du Paradis…
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De la lecture. - Des tas de livres qui paraissent sont des livres possibles, mais nécessaires ? C’est ce que je me demande à chaque rentrée devant le nouveau déferlement de livres possibles et parfois suffisants, mais nécessaires ? En tout cas les papiers possibles sur des livres possibles tiennent le haut du pavé.
C’est en effet de ça que sont remplis les espaces des médias, par contagion et contamination du possible commerce ou du possible du moment, qui fait qu’un article possible le sera mieux s’il est le premier à parler d’un nouveau livre possible, disons le nouveau livre d’Emmanuel Carrère, et voici paraître dans Les Inrocks un premier papier possible sur ce roman lui aussi possible, bientôt suivi par d’autres papiers non moins possibles dans Le Point, L’Express, Le Nouvel Obs’, ainsi de suite.
Mais rompre le cercle du possible et passer à la flèche du nécessaire est-il si difficile que ça ? Je ne le crois pas. Comme je n’ai pas lu le nouveau roman d’Emmanuel Carrère, je ne saurais dire s’il est juste possible ou réellement nécessaire. Donc je prendrai mon temps. Il se trouve que je n’ai pas fait mon possible en sorte de sortir un papier au moment où je pouvais m’inscrire dans ce cercle temporaire, hors duquel la péremption guette dans les rédactions. Mais le temps de la lecture défie celui du possible et du suffisant, et celui-là seul devrait m’occuper alors que trop souvent, pour assurer comme on dit, je me trouve commettre moi aussi des papiers possibles sur des livres possibles…
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De l’optimisme. - La conclusion médiatique typique « donc on peut rester optimiste » prélude à toutes les esquives « positives » actuelles, au dam de l’optimiste lui-même, en lequel veille un réaliste. Ainsi, mon optimisme n’est-il pas un aveuglement devant ce qui est mais un appel de mon corps mortel entier, et donc de mon esprit, à ce qui survit de notre joie d’être au monde et à ce qui la vivifie sans nous abuser.
Image:Philip Seelen