- Tu t’attendais à pire mais on ne peut pas dire qu’elle y aille avec le dos de la cuillère…tu ne comprends pas ce nombrilisme ; qu’est-ce que c’est que cette façon de se plaindre ? Tu n’as pas été élevée comme ça, toi et tu ne pensais pas avoir élevé tes enfants ainsi. De l’ingratitude ? Même pas, de l’ « enculage de mouche » comme dirait son vénéré père ! D’ailleurs, tu as vu comme elle l’épargne, lui ? Elle a beau citer ce salaud de Céline, c’était quoi encore ? Ah oui : « plus qu’il est mort et plus qu’elle l’aime », ça te fait bien rire oui ! Sa mémoire est bien sélective tout à coup, elle a oublié son mépris affiché, ses silences inquisiteurs….Au fond, c’est vrai, elle aurait préféré être une pauvre orpheline, pour pleurer tout son saoul sur sa petite existence. Sa vie vaut mieux que la tienne ? Grand bien lui fasse !
Mais, tu t’es montrée magnanime et tu as lu son torchon rempli du vomi de sa rancœur montée en mayonnaise. Tu t’es tout farci, de la première à la dernière ligne. Tu l’avais promis alors autant lui épargner un nouveau chapitre et tenir parole. (pour une fois, ne manquerait-elle pas d’ajouter…) Tu ne t’en tiendras qu’aux faits, c’est bien ce qu’elle veut, après tout : du factuel ! Elle et ses grands mots ! Elle et son effronterie portée si haut qu’elle prête à sourire ! Tu ne lui en veux pas au fond, si cela peut l’aider, mais qu’elle ne vienne pas te rebattre les oreilles de sa littérature ! Tu pourrais faire pareil, si tu avais toi aussi du temps à perdre. Mais du temps, tu n’en as jamais eu. Quand tu penses qu’elle fustige les bourgeois alors qu’elle en est devenue une ! La prolo, la vraie, c’est toi ! Pas toujours, il est vrai, pas de naissance mais c’est encore pire !
Le temps. En voilà, un sujet ! Du plus loin que tu te souviennes, tu as passé ta vie, l’œil rivé à la montre. Le tic-tac de l’horloge comme seule rythmique aux tâches qui t’ont vrillé le cerveau. Tu préfères encore ça, ne pas penser à ce fardeau que tu t’es infligé, ce remords dont elle parle et qui te serait étranger. Tu la pensais plus fine, un peu plus intelligente. Qu’est-ce que qu’elle croyait ? Que tu allais les élever tous les 5, comme si de rien n’était ? Comme si tu ne crevais pas à petit feu de ne plus sentir tes bébés ?
L’abandon. Le gros mot lâché comme sentence sans appel. Qu’elle te juge coupable, comme tous les autres, qu’est-ce que cela changera au fond ? A l’heure du grand pardon, tu seras seule, comme tu l’as toujours été. Seule avec ce poids qu’elle fait peser de toute sa bêtise. Pour être claire, une fois pour toutes, c’est un mot que tu renies. Jamais tu n’as abandonné tes enfants ! Quelle mère en serait capable ? Mais ce qui a toujours été au dessus de tes forces, c’est en parler. Ça c’est vrai, tu lui concèdes cela pour la bonne et simple raison que tu n’as pas à te justifier, encore moins face à un enfant qui a mobilisé toute ton énergie. Si un des trois te l’avait demandé, tu ne sais pas, mais peut-être aurais-tu évoqué ou même tenté d’expliquer ton geste. Mais, désolée, tu ne lui accordes pas cette légitimité. Tu ne peux cependant lui défendre d’écrire, comme tu n’as jamais rien défendu à aucun de tes enfants; même quand tu savais qu’il allait droit dans le mur, tu as laissé faire. A chacun ses bêtises, et tu es bien placée pour savoir que les conseils ne servent strictement à rien. Chacun sa croix ! Tu n’aurais cependant pas pu imaginer que la sienne porte ton nom !….