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Publié le 24 septembre 2011 par Sophielucide

3.

Tu te demandes à quoi ça sert, pourquoi remuer un  passé irréversible, à quoi bon y chercher une explication obsolète ?   Pour se faire mal, c’est ça ? C’est ce qu’elle veut ? Tu n’as pas assez payé ? Tu seras jusqu’au bout débitrice et sous emprise. Des autres, ceux qui pensent à ta place, exactement comme elle. Ceux qui s’installent dans ta tête comme une volée de coucous qui viennent chanter un abominable refrain qui ne te quittera plus. Insupportablement durable, il creuse dans ton esprit comme un sillon qui s’enfonce dans ton crâne. Et tu as beau fumer comme une cheminée, passer tes journées à lancer des dés ou battre des cartes à jouer, le refrain reste là, à te narguer : mauvaise mère, mauvaise mère, mauvaise mère !!!!!

Etrangère à toi-même comme au reste du monde, tu n’es nulle part à ta place mais tu en as fini de chercher un coin où te poser. Tu as admis qu’ici ou ailleurs, tu resteras avec ton mal-être qu’au lieu de soigner on te montre du doigt. Tu n’as jamais eu peur de la mort, l’ayant tutoyée dès ton plus jeune âge, mais elle aussi te nargue, elle ne veut pas de toi, personne ne veut de toi, ne le comprends-tu pas ?

Quand tu parles de la guerre, elle te ricane au nez, et c’est le portrait craché de son père qui vient s’interposer. Comme si tu avais choisi ce camp plutôt que l’autre, comme s’il était tatoué sur ton poignet que tu as eu tort de naître sur l’autre bord du Rhin, et comme si sur l’autre rive ne vivaient que de bons résistants, des hommes courageux qui avaient l’avantage de se trouver du côté des gagnants. Tu n’aimes pas perdre, toi-même, on te dit même mauvaise joueuse mais si l’on joue, c’est bien pour gagner, ce n’est tout de même pas par plaisir ? Et c’est quoi, d’abord ce plaisir qui est censé régir toute une vie ? Il est où ? Qu’est-ce que c’est encore que cette chimère à laquelle tout le monde voue sa vie ? Et c’est toi, la fautive ?

Alors, s’il faut évoquer la faute originelle,  tu as eu, depuis le temps, l’occasion d’y penser, bien sûr. Tu le hais ce caprice qui a changé ta vie, tu n’aurais jamais imaginé qu’un simple coup de foudre anodin puisse avoir une telle portée. Mais c’était simplement une bouffée d’air frais. Aller vivre ailleurs, là où tu ne croiserais pas une armée d’hommes en uniforme venus te rappeler que tu avais perdu. Tu n’avais rien d’une perdante, toi ! Tu étais belle, tu étais jeune, tu avais une vie qui s’offrait, une vie que tu voulais écrire sans passer par un échec qui ne t’appartenait pas.  Tu voulais partir de zéro, la voilà ton erreur ! D’ailleurs, ne te souviens-tu pas qu’un de tes soupirants s’est écrié à ton départ : «  non seulement ils ont gagné la guerre, mais ils emportent avec eux la plus belle fille du village ! » C’était toi !

Elle ne te croit pas lorsque tu lui dis que tu as regretté ce choix sur la route qui t’emmenait en France. Elle ne te croit jamais mais elle insiste tout de même, jusqu’à ce que tu lui fournisses un élément qui irait dans le sens qu’elle s’est choisi. Le sens de son livre. C’est pour ça qu’il faut que tu te livres. Tu ne crois pas que dans ces conditions les dés ne soient pipés ? Bien sûr que tu le penses, mais tu n’es pas contrariante, cela ne sert à rien. Tu as pleuré dans le train et ton mari s’en est ému et a tenté de te rassurer. Tu avais déjà menti. Le français appris au lycée ne te sera d’aucune aide. Tu le maîtrises mal. Tu ne maîtrises rien ! Tu n’es qu’un imposteur et il va s’en rendre compte très vite et tout va changer entre vous. Il ne t’a pas forcée, c’est toi qui t’es forcée toute seule, tu te pensais capable de vivre loin des tiens, loin de ta mère qui avait raison mais tu ne voulais rien entendre, n’est-ce pas ? Tu te croyais plus forte, mais tu es si faible, si faible….