Conte de la toile 8

Publié le 24 septembre 2011 par Adamante

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Les esprits se sont manifestés ce soir, je sentais bien leur irritation monter depuis quelques jours, ils sont venus en délégation me demander des comptes.

Voilà des lustres, m’ont-ils dit, qu’ils n’avaient pas eu droit à leur histoire et que le livre orphelin perdait de sa couleur, alors, malgré ma fatigue, j’ai cédé.

Quelle effervescence !

Les esprits se sont mis à ronronner en patounant, éperdus de reconnaissance.

Comment ne pas les aimer, eux qu’aucune rancune n’habite jamais ?

Sur la page du livre, qui mourait d’impatience de s’ouvrir, vibraient de drôles de petites choses dorées qui se mirent à voleter comme pressées de poursuivre leur chemin.

Que sont-elles ?

Anges ou fées ?

Elles glissent doucement

portées par les souffles

de la grande bouche

de l'automne.

Comme c’est doux !

La page alors se met à murmurer fiévreusement :

« bientôt l'envol

   dès le premier souffle de vent

   l'or se dispersera

   léger

   dans la campagne

   pour qu'au printemps

   dans le vert revenu

   explosent

  des milliers de petits soleils. »

Les Esprit, je le sais, voudraient bien attraper ces drôles de petites choses volantes mais le livre en décide autrement.

Pour la première fois, il s’indigne.

Il chasse les images et ne laisse à voir que des mots, un haïku, trois lignes et tout est dit, si bien dit…

Puis comme agacé par la bêtise humaine, ou contrarié par mon abandon, il s’ouvre à une autre page, rouge de honte.

Moi je sens un vague écœurement me crisper l’estomac.

Je me sens si mal à regarder cette vie si maltraitée, si méprisée sous le couvert de tous les faux-semblants de la civilisation.

Mon impuissance me rend malade et je me sens honteuse à mon tour de n’avoir rien pu faire.

Une vie, qu’est ce qu’une vie ? à la fois tout et rien.

C’est si fragile une vie quand elle vous échappe, quand on vous la prend, qu’on vous la piétine.

Je ne veux pas jouer les autruches, mais je crois que plus jamais je ne laisserai le livre si longtemps fermé, cela pourra-t-il conjurer le sort,  faire disparaître à jamais la peine de mort et faire de Troy Davis le dernier à parcourir l'infâme couloir qui y mène ?

Alors les pages, sans doute pour me remonter le moral, me montrent que les racines plongeant dans le passé peuvent toujours être là, au présent, elles nous offrent de contempler une image qui sent bon le terroir et nous rassure.

Les Esprits, sensibles aux effluves de la Terre, s’enroulent et s’endorment.

Moi, je me sens parcourue par un frisson d’espoir.

Mon livre est de papier, en images ou en mots, et il est libre.

Je sais que ce sont les mots, les images qui font l’histoire, que ce sont eux qui écrivent la liberté, il ne faut pas l’oublier et dire, dire, dire.

Mais il est tard déjà...

©Adamante