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Amina Saïd, Les Saisons d’Aden

Publié le 26 septembre 2011 par Angèle Paoli
Amina Saïd, Les Saisons d’Aden,
Al Manar, Collection “Poésie du Maghreb”, 2011.

Lecture d’Angèle Paoli

Aden 1
Ph., G.AdC

“UN PAS VERS LE LIEU DE LA RÉPONSE”

  À Aden, les saisons se vivent au rythme des contes qui ramènent au port les voiles ou au contraire les lancent loin des « escarpements rocheux de la côte d’Al-Yaman ». C’est le temps de la mousson d’hiver qui apporte avec lui, ou emporte, aux abords du désert ― du désir ―, les récits de haute mémoire. Conteuse, héritière des longues traditions orales arabes, la poète Amina Saïd enlève sur ses traces celui/celle qui se risque à suivre ses pas dans Les Saisons d’Aden. Voyage hors des limites du temps, loin des seuils ébauchés par les cartes, le lecteur embarque avec Ramzi, à la recherche de Khalil, l’ami disparu un beau jour sans laisser de signe. Puisque « tout est miroir tout est profondeur tout est signe ». Sur le vaisseau armé par les soins du riche négociant d’Aden, un conteur chargé de maintenir l’équipage en éveil. Lorsque « dans le triomphe du silence » vient l’heure de la parole, le conteur module son souffle sur celui du ney. Montent alors vers la nuit, en même temps que la plainte de la flûte (ney), la voix qui porte les récits. Parfois, répondent en écho les voix des compagnons de voyage qui rajoutent au récit du conteur celui de leurs propres rêves.


  Récits du Livre : celui des commencements et de la Création, complété par le conte des Trois Princes et de la princesse « au cœur de glace » ; celui, maritime et divin de Jonas/Younès et de la baleine Noun; celui de Nouh/Noé et de son arche, soulevée par les flots du Déluge « jusqu’au sommet du mont Nour » ; celui de l’oiseau « Anqa qui se nourrit de feu » ; celui de l’ermite qui raconte sa propre histoire et dit avoir aperçu « l’éternel voyageur », celui qui ne possède aucune « demeure fixe ni sur la terre ni dans le ciel ni dans le fond des eaux ».


  Par l’entremise du capitaine, hommes et prophètes prennent la parole à leur tour. Les uns pour confier au voyageur les vérités qui toujours se dérobent de génération en génération ; les autres, Moussa (Moïse), Al Khadhir le « Verdoyant », pour transmettre leurs actes à leur serviteur. Sacré et profane mêlent leurs voies/voix, aisément identifiables par le passage à l’italique. Entre ces leçons porteuses de la sagesse orientale mais aussi universelle, le récit principal poursuit son cours. Récit de voyage sur mer et de navigation ― dont les péripéties rejoignent celles d’autres lectures, d’Ulysse à Sindabad le marin, de Noun à Moby Dick, de Marco Polo à Lord Jim ― que Ramzi s’applique à rédiger à son retour à Aden. Devenu vieux et oublié de nombre de ses connaissances, Ramzi confie à ces pages le souvenir des tempêtes essuyées en pleine mer, des affres de l’angoisse provoquée par la descente aux enfers dans « la mer de la mort » et la vision de la géhenne ; ou tout au contraire le souvenir délicieux de l’harmonie entrevue au cours de séjours vécus dans les îles bienheureuses. Il dit les connaissances acquises au cours de la navigation, « la poésie des vagues », les rencontres avec les monstres redoutables, la terreur des hommes et leur vaillance, les heures passées à égrener le chapelet d’ambre donné par l’ami. Toujours, au plus fort du désarroi comme aux instants de délices, Ramzi poursuit sa quête de l’ami perdu, « pèlerin perpétuel » qui « avait échappé à tous les liens ». Toujours le guette, tenace et douloureux, le souvenir de leur complicité passée, de la richesse de leur échange. Au-delà se dessine cette vérité :


« Je suis lui il est moi j’ai trouvé l’autre moitié de mon âme
son absence n’a été qu’une longue absence à moi-même
je n’ai fait que chercher ce qui jamais n’a été perdu... »


  Peu à peu, la mélancolie liée à la quête sans fin se change en sérénité. La sagesse est au bout du chemin, qui révèle à Ramzi « la profondeur des choses ». La leçon d’Al-Khadhir le « Verdoyant », « patron des navigateurs », guide Ramzi vers son centre. Et vers l’exil définitif.

Aden  2

Ph., G.AdC

  « Cherche la réponse en ce même lieu d’où t’est venue la question », écrit Jalal-ad-Din Roumi dans le Mathnawi. Au terme de son voyage et de sa quête initiatique, Ramzi comprend que le lien tissé avec l’ami ne se rompra qu’avec la mort.

  À travers la complexité d’un texte admirable et envoûtant, Amina Saïd conduit une réflexion de grande envergure. Mais toujours le souffle poétique est au cœur de l’écriture du poète.


« Par le poème
par ce qui tremble
et brûle dans ses ailes

s’affranchir
du poids du monde »


écrivait hier Amina Saïd dans le recueil De décembre à la mer. À ces vers, elle répond aujourd’hui dans Les Saisons d’Aden :


« le poème du monde s’écrit avec le corps
et l’esprit de l’homme comme calame
trempé dans la lumière de sa vision ».


Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli



AMINA SAÏD

Amina Saïd

Ph. Michel Durigneux
Source


■ Amina Saïd
sur Terres de femmes

→ alors au pied d’un arbre
→ amour notre parole
→ enfant moi seule
→ Jusqu’aux lendemains de la vie
→ l’élan le souffle le silence (+ NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE)
→ (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait d'Amina Saïd (+ deux poèmes d'Amina Saïd)

■ Voir aussi ▼

→ (sur Trans, revue de littérature générale et comparée, Université de Paris III) « Poétique de la Relation » Amina Saïd et Édouard Glissant, par Ines Moatamri
→ Panorama de la poésie maghrébine de langue française. 3. Poésie tunisienne, article paru dans Bulletin du Centre Culturel Arabe, janvier-mars 2004



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