Récemment, j’ai délaissé pour un temps les fictions pour du réel, du documentaire à la suite, tous passant par l’eau, le monde sous-marin, comme thème central ou appendice à un périple également en surface.
Les seigneurs de la mer est le premier de cette série, signé par Rob Stewart, il nous propose de changer notre regard sur les requins : cesser de les voir comme des monstres marins, mais comme une espèce menacée, méritant bien plus notre attention que notre crainte.
Le périple entraîne le spectateur à travers le monde, en suivant un long monologue du jeune réalisateur nous expliquant son amour des requins et la destruction opérée auprès des squales (en particulier pour leurs ailerons, quitte à balancer les animaux agonisants à la mer une fois leurs corps charcutés). On se retrouve dans une version longue de la séquence de massacre de requins dans Le monde du silecne de Cousteau, les préjugés toujours aussi présents. Parmi les prises sous-marines, quelques ballets merveilleux de requins marteaux et du géant requin baleine, et en surface le film suit quelques instants Paul Watson, un fou furieux haut en couleurs prônant la lutte directe contre les tueurs de requins, n’hésitant pas à prôner le rentre-dedans dans les rafiots des pêcheurs illégaux.
Hormis ces belles images et quelques chiffres essentiels (où l’on relativise largement le danger du requin par rapport au crocodile par exemple), on jugera toutefois ironique d’entendre Stewart prôner le côté amical des requins tandis qu’il les côtoie couvert d’une combinaison de plongée proche de la côte de maille… Et puis entendre Stewart et le voir en continu, persistant dans une vision nombriliste de ses requins, de sa lutte, de son film, cela devient lassant (et le générique final filmé à trente centimètres de sa gueule de jouvenceau n’arrange rien). En résumé, 1h30 intéressante mais rien d’exceptionnel.
Je fais partie de ces irréductibles qui n’ont pas encore vu Titanic. J’ai pourtant vu la majorité des films de James Cameron, dont Avatar. Pour le coup, je suis malgré tout allé voir du côté de Les fantômes du Titanic, plongée aux abords de l’épave de tous les fantasmes.
Une bonne part de cette exploration des décombres a quelque chose de majestueux, à tenter de reconstruire ce qui a été, et ce qui en demeure, recouvert de rouille dans l’abandon des profondeurs. Entrecoupé par des interventions de spécialistes du vaisseau, l’histoire du Titanic se refait sous nos yeux.
Il est regrettable d’ailleurs que Cameron tombe dans un bête jeu de superposition d’images par moments pour tenter de recréer la vie du bateau là où la simple évocation du passé et la comparaison d’images d’archives et du reportage des sous-marins caméras suffisait amplement. L’artifice se fait un peu trop gros, tout comme les tentatives de narration parfois un peu cruche au sein de l’équipe d’explorateurs (mention spéciale au « je dois pisser dans le sous-marin miniature par plusieurs dizaines de mètres de fond »).
Enfin, il y a ces moments fascinants où se mêlent hasard et ironie et qui valent aussi en plus de la simple plongée autour de ce monstre sacré : le sauvetage d’une caméra sous-marin un certain 11 septembre 2001, et la satisfaction de l’équipe d’ingénieurs qui déchantent peu après en découvrant qu’entre-temps, deux tours se sont effondrées à New York (Cameron a d’ailleurs le bon sens de ne pas s’éterniser sur le choc encouru et de se concentrer uniquement sur les décombres qui l’intéressent, 90 ans plus tôt).
Après les requins et les épaves, arrive le temps des dauphins. Primé aux oscars 2010, The Cove – La baie de la honte entraîne le spectateur au Japon, dans la baie de Taiji. Là-bas, à proximité de cette baie, des dauphins en migration sont rabattus vers les terres par les pêcheurs avant d’être dans un premier temps sélectionnés pour devenir des mammifères d’attraction dans un parc quelconque, et pour le reste d’entre eux hachés en morceaux et laisser les eaux de la baie se tinter de rouge.
Photographe au National Geographic, le réalisateur s’y connaît côté image, et l’équipée qu’il embarque avec lui compte un type fascinant dans ses rangs, Ric O’Barry, ancien dresseur des dauphins ayant joué le rôle de Flipper, devenu activiste. Du coup, entre les choix visuels du premier et les anecdotes du second, le film vaut déjà son pesant d’or.
Ainsi, on y apprend entre autres que la plupart des dauphins dans les parcs sont bourrés de médicaments afin de palier le stress dû à leurs conditions de rétention. Ric O’Barry évoque également le fait qu’un dauphin puisse en quelque sorte se suicider en bloquant leur respiration, ce qu’a fait l’une des dolphines servant à la série Flipper qui bloqua son évent dans les bras d’O'Barry. Celui-ci, dès le lendemain se retrouvait à libérer des dauphins de façon illégale, ce qu’il fait toujours à ce jour, multipliant les actes illégaux pour protéger le mammifère à travers le monde, jusqu’à la fameuse baie de Taiji.
Le film vire par moments au docu à l’américaine avec la grande finesse que cela sous-entend ; lorsque l’équipe se retrouve à Taiji, à la limite d’être étonnée d’avoir la ville sur le dos, des pêcheurs aux flics en passant par les yakuzas, alors qu’ils semblaient penser qu’un groupe d’Américains armés de caméra aurait dû passer inaperçu. Ou lorsqu’ils tentent de légitimer le fait qu’il est mal de tuer des dauphins également parce que le dauphin est un animal bourré de mercure ce qui est dangereux pour la santé du consommateur (comme si le massacre en soi ne suffisait pas à révolter le spectateur).
Mais ce côté hollywoodien a aussi du bon quand il s’agit d’insuffler du rythme au documentaire. Ainsi, le film prend des airs de thriller quand la caméra nous entraîne dans un semi-making of des techniques employées pour permettre à quelques caméras d’être placées dans la fameuse baie de la honte… Bref, de quoi se fasciner pour le reportage, en plus d’être intrigué, révolté, amusé, sidéré par la connerie humaine et la magie animale. Dommage que le plan final suive plus la veine humoristique que l’idée activiste de défense des dauphins et ternisse les dernières secondes du film – même s’il faut probablement aussi épargner un peu le spectateur.
Une heure de tergiversations autour du massacre de Taiji d’un grand intérêt avant de conclure avec une demi-heure autour de Taiji même, dans la baie avec ce plan glaçant où l’eau claire de la mer se ternit en quelques secondes du sang rouge du massacre et que résonnent les sons de plus en plus désespérés des dauphins.
Dernier morceau de ce quartet, un très grand nom du cinéma aux commandes en la personne de Werner Herzog pour ce reportage à l’autre bout de la planète, Encounters at the end of the world.
L’ouverture se fait sur des fonds marins, dans une ambiance feutrée, avant qu’Herzog ne fasse surface pendant la majorité des 100 minutes de film pour se ballader autour de l’Antarctique dans la base de McMurdo où se côtoient des personnages plus étranges ou plus fascinants les uns que les autres, par leurs domaines d’expertise, leurs particularités, leurs anecdotes. Une succession de portraits hauts en couleurs sur fond de l’immensité blanche de l’hémisphère sud.
Et il s’agit bien d’un portrait de ces hommes et de ces lieux plus qu’autre chose, car pas un instant Herzog ne semble avoir un leitmotiv précis autre que celui de proposer un aperçu global, sans réel message, sans réelle destination hormis ce dépaysement de chaque instant, ce vide de blanc, de gris, de bleu à perte de vue où se mêlent des ermites, des fous et des génies.
Et puis il y a cette touche d’Herzog, ce dépassement non seulement par ces rencontres improbables, mais dans cette façon de filmer, en particulier lorsqu’il filme les fonds marins de l’Antarctique et qu’il mèle ces prises en teintes semi-obscures avec des airs religieux, laissant se dessiner des cathédrales de glace envahies d’eau et plongées dans le silence marin.
Werner Herzog entre torpeur et fascination, pour un documentaire dont on ne ressort pas indifférent alors que strictement rien ne le laissait supposer au premier abord, un arrière-goût de génie à l’orchestration filmique…