Magazine Humeur

= NASHVILLE - En attendant Hal =

Publié le 28 septembre 2011 par Thebadcamels
= NASHVILLE - En attendant Hal =La politique et l'art ont en commun le "mentir-vrai", cher à Aragon. Telle la littérature, non-avènement auto-proclamé, la politique, avec sa soif déclarée de "réformes", de "changement" - voire de "révolution", prétendra toujours qu'un monde meilleur est possible - et qu'il passe par le vote (ou la prise des armes). On sait cependant ce qu'il advient, dans tous les cas, des promesses faites par les politiques : intenables ou bien tenues par chance, à bout de bras, abâtardies, perverties, en leur sein pleines des concessions qui les annihilent déjà.
C'est ce monde in-réformable que "Nashville" s'attache à exposer par le biais d'une mise en abîme (le spectacle dans le spectacle) particulièrement élégante, kaleidoscope de personnages hauts en couleur (ou pas), fidèles reflets des aspirations, des contradictions que nous incarnons ou incarnerons tous un jour ou l'autre. Mais un kaleidoscope en trompe-l'oeil - car le relief n'est pas toujours là où on l'attend.
C'est la serveuse, chanteuse aspirante, sans doute pas si sotte qu'elle n'en a l'air puisqu'elle sait ses atouts et feint d'ignorer qu'elle possède le filet de voix d'un canard qu'on étrille. C'est, à l'autre bout du même prisme, le chanteur folk à succès, incarnation de ces années 70 pas exemptes d'hypocrisie (idéalisées aujourd'hui), qui clame guitare à la main qu'il est "facile à vivre" - surtout si, finalement, c'est pour un soir ou pour une heure. C'est cette journaliste (?) de la BBC, libérale, libérée - mais qu'on ne prendra jamais à socialiser avec les couches populaires. C'est ce responsable de campagne opportuniste, qui cherche à s'attirer les grâces d'une scène country sudiste déplaçant les foules afin d'y associer le message de son candidat qui a le vent en poupe - mais qui n'aura - on le devine - heureusement aucune chance de vaincre, puisque dans cette société de l'image il ne sera rien qu'un message (poujadiste, populiste, plein de ce bon sens de classe moyenne porté aux nues par les politiques en manque d'inspiration).
Bref, le monde est in-réformable - car c'est l'homme, bien entendu, qu'il faudrait réformer. En attendant, Beckett nous distrait ; et Altman n'est pas en manque. (A cet égard, la scène du strip-tease est éloquente : l'homme des cavernes est bien parmi nous.) L'homme est à réformer, cela n'est pas nouveau. Mais aura rarement été dit avec un mélange si réussi d'audace, de lucidité et d'aplomb. (Et l'on ne parle pas là du monde minoritaire froid, intellectuel et détaché des élites. Non, on parle de la profonde, de la mythique et sincère Amérique, où les non-dits et les mots prononcés à voix basse - comprenez, les insultes racistes - sont tout aussi révélateurs que le spectacle continu dont sont gavées les ouailles abstentionnistes. Qui peut-être voteront - si le show plaît aux enfants et qu'il y a, à la sortie du parking, une urne.)
Pour l'audace : la mise en scène, typiquement Altman - des plans surchargés d'individus et de bruits, instantanés d'une société qui ne s'écoute plus, pleine de l'ivresse heureuse du bétail abêti, plus même sensible à la mort sur scène... tant que dure la scène. Bétail qui reprend en choeur (enfants y compris) : "Vous pouvez bien dire / Que je ne suis pas libre / Moi je ne m'en fais pas" ("You may say / That I'm not free / But it don't worry me").
Pour la lucidité : c'est dans un clin d'oeil complice faire jouer à Elliott Gould et Julie Christie leur propre (petit) rôle, ou faire intervenir une Dollie Parton plus vraie que nature (Connie White). Ce sont aussi les grands yeux subjugués de la mère de famille rangée qu'est Linnea Reese, prenant conscience de son naufrage lorsqu'il suffit au beau Tom de jouer une chanson mièvre pour qu'elle désire son lit.
Pour l'aplomb : c'est la subversion du sacré tel qu'il est vécu (la religion, la patrie) sans la dénonciation, par le biais d'une manipulation révélatrice de l'ambiguïté, puisant dans les accouplements a priori contre nature du show business et de la politique, du salut de l'âme et du pop corn. Accouplements engendrés par le modèle américain - parce qu'ils rendent tout plus digeste, plus facile. Facile, ce film ne l'est justement pas. Car il ment pour de vrai. (On lui trouvera d'autant plus, en cette période pré-électorale, des vertus certaines...)
Un chef-d'oeuvre - sans doute le plus dense, le plus puissant, le plus iconoclaste des Altman.
8/10
Un billet signé Matthieu Gredain

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