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Publié le 28 septembre 2011 par Sophielucide

Cette ablation a eu raison d’une part de mémoire qui n’en finit pas d’agonir. C’est flou, tu ne te souviens plus vraiment de toi ou des enfants, lequel de vous quatre est parti en premier. Vous avez été séparés, cela tu t’en souviens, mais dans quelles conditions ? Comment le mal a-t-il été décelé ? Tu n’en as plus qu’une vague idée, tout ça est tellement loin… Il te semble que tes fils ont été placés chez une tante paternelle, ta fille (mais quel âge avait-elle ?) chez ta sœur, en Allemagne, tandis qu’on te soignait à la maison dans un premier temps, avant l’opération précédant cette cure au sanatorium dont tu n’es pas revenue.

Le mal vit plus que tu ne meures.

Ce que tu sais, ce qu’elle ne veut pas entendre, c’est que tu n’as rien décidé ! Ce truc t’est tombée dessus et tu n’as pas eu d’autre choix qu’épargner tes enfants de la contagion ; est-ce si difficile à comprendre ?

Bien sûr que tu as eu peur ! Tu ne t’es pas satisfaite de ce biais bien risqué pour abandonner purement et simplement tes enfants. Tu n’avais pas d’autre choix que te soigner si tu voulais espérer les retrouver un jour ; tu te soignes toujours….

Depuis ce diagnostic, tu es en rémission. Rien n’est jamais acquis avec cette maladie, qui a crée dans ton esprit une drôle de parenthèse en forme d’auréole protectrice. Quand se fermera-t-elle ? Ta fille t’a dit l’autre jour que tu étais une fable de La Fontaine, le roseau qui n’en finit pas de fléchir sans jamais rompre vraiment. As-tu dit adieu à tes 3 enfants ? Tu n’en as plus le souvenir mais cela t’étonnerait, au revoir sûrement. On t’avait prévenue du temps long précédant l’espoir d’une guérison, si tant est que tu réchappes à cette lourde opération. En quelle année était-ce ? 1955 ? 56 ? 57 ? Le ton de ta fille se durcit et plus elle te secoue, plus tu perds le fil d’un calcul qui t’embrouille. Tu ne sais plus si ta fille aînée avait déjà 2 ans… 9 mois, dit-elle ? Possible. Est-ce si important ? Une fois encore tu répètes que tu n’as pas programmé cette maladie dans l’agenda d’une vie aux pages jaunies, au contenu maintenant illisible…

Tu aimes assez ce passage au sanatorium tel que ta fille le décrit. Cet épisode de ta vie est le premier, peut-être bien le seul, durant lequel tu t’es sentie en phase avec toi-même. Tu conçois bien l’incongruité de reconnaître qu’après la panique de l’opération, la douleur de la séparation, et le manque bien sûr, tu aspires à un minimum de paix que ton entourage presqu’exclusivement féminin te procure. Concentrée sur toi-même, tu redécouvres un corps que tu t’appropries, avec lequel il va falloir passer le reste de ta vie. A tort ou à raison, inconsciemment ou non, tu décides qu’à partir de maintenant tu la régiras à l’instinct, selon les désirs qui se manifesteront. Ne plus rater le coche, c’est ta seule ambition. Tu viens de te prouver que tu savais te battre et tu viens même de remporter ta première bataille. Et quelle bataille ! Te voici presque guérie à présent, la vie bouillonne en toi, tu es remplie de cela, du caractère sacré de ta propre existence. Tu n’as pas revu tes enfants, par égard pour eux, mais leur père est venu deux fois te voir et deux fois ont suffi pour te convaincre que poursuivre ensemble une vie commune n’avait plus le moindre sens. Tu le ressens ainsi, sans haine, sans appétit. Ce fatalisme que ta fille pointe du doigt ne recouvre pour toi qu’une forme de vérité que tu acceptes en choisissant les batailles que tu mèneras. S’il faut prononcer le mot défaite, tu l’admets pareillement. Tu as échoué à fonder une famille et cela t’attriste mais savoir les enfants hors de danger, en parfaite sécurité te permet d’aller de l’avant. Tu les retrouveras, dans un mois, dans un an, mais tu ne seras plus le maillon d’une chaîne t’attachant à des obligations absurdes. Tu es libre à présent, libre de tes mouvements, libérée d’un corps avide de soleil. Tu seras désormais à l’écoute de ce corps dont tu n’avais même pas pris conscience jusqu’ici. Si tu dois obéir, ce ne sera qu’à lui ! Il te pousse vers la lumière que tu ne trouveras jamais si belle qu’en Algérie.


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