Mon cher Victor,
Mais quelle mine rayonnante ! Cela va mieux, on dirait, je m'en réjouis ! Ca, pour aller mieux, ça va mieux, c'est le moins que l'on puisse dire ! Un tel retournement en une semaine, c'est inespéré ! Ah ça, on peut dire que tu as bien remonté la pente ma petite chérie ! Dieu sait pourtant si l'épreuve que tu as traversée était difficile, je reconnais bien là ma Mirabelle : panache et brio ! Oh, je n'ai pourtant aucun mérite... Et modeste avec ça ! Quelle femme ! En fait, Victor...
En fait, j'ai vécu hier soir un drôle de coup de théâtre, et j'ai le grand plaisir, que dis-je, l'immense bonheur de t'annoncer que j'ai en moi un petit embryon de 12 millimètres, dont le coeur bat à 165 pulsations la minute ! Quoi ? Mais... C'est impossible ! Eh si : ce n'était pas un oeuf clair ! Attends, il faut que je m'assois... Je suis abasourdi !
Vendredi 16 septembre, comme tu le sais, je me suis rendue aux urgences où on m'a diagnostiqué un oeuf clair. Bing. Samedi, je pleure. Dimanche, je pleure encore mais je me mets à réfléchir : il se trouve que je connaissais avec certitude ma date d'ovulation, ayant fait une courbe de température ainsi qu'un test. Il s'agissait d'une ovulation tardive, et à aucun moment les internes des urgences n'ont supposé que la grossesse pourrait être plus récente que prévu : ils se sont uniquement basés sur la date de mes dernières règles, CQFD. Sauf qu'entre une ovulation à J14 (date communément retenue mais nous ne sommes pas toutes faites sur le même modèle !) et une ovulation à J25, cela fait tout de même une sacrée différence !
Lundi matin, je fonce donc chez mon médecin traitant préféré, qui est bien navré de cette histoire d'oeuf clair, il en profite pour m'engueuler un peu ("Franchement, Mirabelle, depuis le début tu étais trop angoissée de toute façon, ce n'est pas tenable ça !"), entre deux sanglots je lui fais part de mes doutes, il maugrée que "cette date d'ovulation pourrait changer beaucoup de choses", calcule tout ça sur sa célèbre petite roue et d'un coup déclare : "Mirabelle, vendredi dernier tu en étais à 5SA+4, je ne veux pas te donner de faux espoirs, et je ne devrais même pas te le dire, mais à ce stade, on ne voit souvent rien du tout à l'échographie, seulement un sac vide. Les urgentistes se sont peut être un peu précipités...". Oh mon Dieu...
Je sors du cabinet revigorée, espérant malgré moi, avec des prises de sang à faire et une ordonnance d'échographie dix jours plus tard, quand je serai parvenue au stade des 7SA où là, "plus aucun doute n'est possible". Je file faire un dosage de B-HCG, reçois les résultats le soir même et verdict : mon taux est au plafond. Mon médecin y croit à fond, j'en suis certaine, bien qu'il fasse tout pour ne pas le montrer : "Bon, Mirabelle, ce taux est haut, très haut, on ne s'emballe pas. Il n'y a que l'échographie qui pourra nous donner une réponse, il va falloir t'armer de patience... Ce seront certainement les douze jours les plus longs qui soient !"
Comme il avait raison, mon Victor. J'ai passé douze jours atroces, tantôt gaie, tantôt désespérée, sur les
nerfs, à fleur de peau, priant le ciel pour qu'il y ait à l'intérieur de moi un petit embryon que l'on détecterait à l'échographie. Je me traîne, je lutte pour trouver de l'intérêt à ce
que je fais, je suis crevée, ne peux pas dormir, je pleure, j'arrête de pleurer... J'en parle à Chéri, mais Chéri n'est pas comme moi, Chéri n'est pas une femme, ce n'est pas dans le corps
de Chéri que tout se passe, Chéri est tendu, il se protège, il fait comme si, il refuse d'en parler. L'atmosphère à la maison est lourde, c'est la première épreuve que nous traversons, j'ai peur,
je n'aime pas rentrer après le travail tellement il est malheureux, tellement je suis malheureuse. Un soir, il lâche qu'il en a marre, que cette attente le rend fou. Et moi
donc... A m'en taper la tête contre les murs ! Ma pauvre chérie... Comme cela a dû être dur !
Et puis le grand jour est arrivé. Hier soir, 17 h 30. Chéri tient ma main dans la salle d'attente, nous sommes si fébriles. Le docteur vient nous chercher, la salle est dans la pénombre, je me déshabille, m'allonge, ça y est, il me fait l'échographie, douze jours que je l'espère et la redoute. Je lui explique mon cas, les urgences, l'oeuf clair, l'ovulation tardive, Chéri est assis sur le côté sur une chaise, et à le voir là, impuissant, je songe soudain que pour les hommes, ce n'est pas facile non plus : comme ils doivent se sentir à l'écart par moments !
Sur l'écran, tandis que le médecin appuie sur mon ventre avec son appareil, je reconnais le sac, et soudain, à droite, je vois une forme blanche, comme un haricot, mon coeur bat, je n'ose pas le dire tout haut, on dirait un embryon...
"Il est là, madame, votre bébé."
- Comment ? Vous avez dit "bébé" ?
- Oui, il est là, tout va bien ! Tout concorde avec la date d'ovulation que vous m'avez donnée, il mesure 12 mm, ici, le petit rond juste à côté, c'est la vésicule vitelline, vous voyez, ce sera le futur cordon ombilical. Attendez.
Je crains la mauvaise nouvelle, il fronce les sourcils, il appuie sur quelques boutons et tout à coup... J'entends ! Un galop, une cavalcade. Je pleure. J'ai compris. C'est son coeur. Oh ma petite chérie, c'est tellement merveilleux !
"Son coeur bat à 165 pulsations la minute, c'est parfait ! Ca va, Monsieur ? Allez, j'arrête, le but n'est pas que vous soyez en larmes tous les deux !"
Je ne sais plus où j'habite, j'ouvre la porte des toilettes au lieu de retourner à la cabine où me changer, j'explose de bonheur, c'est indescriptible, Victor, indescriptible, je le vis comme un miracle alors que tout allait bien depuis le départ ! Dehors, j'appelle ma mère, elle pleure : "Je vais lui faire la plus jolie brassière que j'aie jamais faite !". J'appelle ma soeur, elle pleure : "C'est trop magnifique !". J'appelle une amie proche, une des seules qui soit au courant, c'est son anniversaire, elle ne pleure pas mais s'exclame : "Ca, c'est vraiment un super beau cadeau d'anniversaire !". Chéri et moi sommes fébriles, encore, mais si heureux, je n'y crois pas, nous sortons de l'enfer, le bébé est là, son coeur bat vite et fort, tout va bien a dit le docteur.
Ce matin, je me réveille, j'en suis à 7SA+3, je parle à mon ventre, je le caresse, je souris pour un rien.
J'entends encore la cavalcade dans ma tête, ce galop, il est vivant, il est là, il est vivant, il grandit, je pourrais tout affronter.