Deux types qui se croisent en vitesse par hasard. Les deux ayant fortement envie de se jaser ça et de rattraper le retard des années de non-fréquentation qui les avaient séparés. Les deux coincés entre deux commissions à faire en trombe sur les heures de travail. Le premier avait eu le temps de lui parler de son emploi pour le gouvernement, l'autre de lui glisser qu'il était traducteur et ne dirait pas non à quelques contrats venant de portefeuilles un peu plus gras. Le portefeuille du pays en fait. Le sien en même temps. Il ne l'a pas dit, il l'a juste pensé mais en quelque sorte il lui disait "gimme your money, baby". Il se sentait vampire. Il avait aussi pensé "I drink bloooooooood".
"moi des voyages comme ça, c'est du passé avec mes enfants et ma femme on est franchement trop occupés" "Ah oui! toujours avec Magalie Monade, toi..." avait dit Prosper avec le regard du coyote se rappelant la poulette. Martin n'avait pas aimé ce regard de prédateur et avait précipité le reste de sa conversation sur sa famille. Ni l'un ni l'autre n'avait le temps pour ce stop & chat comme on appelle cela chez les chinois. Ils s'étaient quittés en vitesse avec une grosse bière à se partager un soir de hockey comme promesse.
Quelques jours plus tard. Prosper appela Martin pour avoir plus de détails.
"Ouin ça te dérange tu de me dires où danse ta fille?"
Prosper avait appelé Martin d'un cellulaire dont la batterie faisait défaut. Il ne comprit pas clairement ce que Martin lui avait dit mais ça ferait l'affaire, il se débrouillerait.
Il lut ailleurs, sur le mur de Bruno Bodé que tous se donneraient rendez-vous à La Chatte qui s'frotte vendredi. Si seulement on réussissait à trouver c'était où, était-il précisé. "Personne n'a le courage de demander à Martin."
De lui demander à lui? mais dans quel type de paranoïa narcissique Martin était-il tombé? C'est ça que ça faisait des conneries comme Facebook, des interprétations aussi loufoques que malsaine et inutiles. Il ferma tout ça et s'installa au salon.
Quelle était leur conversation déjà?
Il revisitait tout ça. Il se souvenait s'être senti vampire, s'être trouvé sale à vouloir se vendre comme une pute à un employé du gouvernement. Il se souvenait lui avoir laissé sa carte d'affaires, un geste qu'il trouvait toujours légèrement emprunté et avec lequel il n'était jamais complètement à l'aise. À ce moment c'est Prosper qu'il avait aussi trouvé sale, à se remémorer comment sa propre femme le faisait bander quand ils étaient tous étudiants. Il se rappelait avoir quitté en trombe en disant:
"...Mag travaille fort, moi aussi, mon garçon fait sa rentrée au secondaire et joue au hockey trois fois par semaine et ma fille danse les week-ends..."
...ma fille danse les week-ends...
Soudainement, il comprit.
Ses amis célibataires masculins étaient tous de sales pervers.