Faut dire ce qui est : les musiciens actuels n'ont pas inventé le sample. Bien sûr, on fait débuter toute l'histoire de la musique électronique à Pierre Schaeffer et Pierre Henry qui bidouillaient les bruits et des sons enregistrés dans le Groupe de Recherche de Musique Concrète, dès le début des années cinquante. Et on a raison, ils ouvrent alors l'univers de la musique électroacoustique puis électronique, qui va aboutir à Luciano Berio, Pierre Boulez, Patrick Marcland et... David Guetta.
Mais finalement, ils n'ont rien inventé. Le premier homme à avoir inventé le sample, c'est... Beethoven. Il suffit d'écouter le début du quatrième mouvement de sa neuvième symphonie (1822-24) pour s'en convaincre. Ici Beethoven, achevant la genèse de la symphonie moderne, avant d'introduire un choeur dont Mahler se souviendra quelques décennies plus tard, développe un surprenant discours musical.
Ce mouvement est constitué d'une longue mélodie aux cordes, dans laquelle viennent s'enchâsser les thèmes des trois mouvements précédents. Beethoven se cite lui-même, et il va jusqu'à y introduire les premières notes de son choeur final. Cela donne à sa symphonie une structure centrée sur un noyau d'une tension impressionnante, synthétisant le début de la symphonie pour le propulser dans le choeur final, dévastateur d'optimisme.
Déjà, le début de la longue mélodie aux cordes :
Voici le thème du premier mouvement :
Voilà le thème du deuxième mouvement :
Et maintenant le thème du troisième mouvement :
Et voilà le thème final dans sa première apparition non modulée :
Et le début de ce quatrième mouvement qui cite toute la symphonie et amène petit à petit la déflagration de l'Ôde à la joie finale, que vous connaissez évidemment. (Karajan/Berlin, 1984 - toutes mes excuses, je sais que certains lecteurs détestent Karajan, et je ne suis pas loin de penser comme eux, mais c'est la seule version dont je dispose pour écrire cette note).
Je n'ai aucune autre connaissance d'un artiste ayant à ce point la conscience absolue de ce qu'il est en train de composer. Il savait qu'il écrivait un tube universel et immortel. Certes il n'entendit ni sa musique, ni le délire de la foule lors de la création en 1824 ; la suite de l'histoire lui donna raison, puisque cette symphonie a été utilisée, réutilisée, recyclée, déformée, récupérée ; elle est à la musique ce que la Joconde est à la peinture, un absolu dans lequel s'incarne, pour l'humanité, l'éternité ; caution des pires atrocités du vingtième siècle, elle est toujours hymne européen.