Gloire et abnégation. Deux mots qui ne vous concernent probablement pas. Deux notions intimement liées. La première nécessite la seconde. Vous voulez écrire pour la gloire ? En êtes-vous sûr ? N’écrivez-vous pas plutôt pour la célébrité, avec la gloire en possible lot de consolation ? Si vous pouviez être célèbre tout de suite, ce serait tellement mieux ! Vous passeriez à la télé, seriez reçus sur les meilleurs plateaux, auriez des critiques louangeuses dans le Figaro tout comme dans les inRocks.
Mais en attendant, pas de chance, vous ne vous êtes toujours pas fait un nom. Dommage, il faut travailler. Vous avez choisi l’écriture parce que vous n’aviez pas été sélectionné dans Secret Story, ou bien parce que votre groupe de rock a un peu pris l’eau depuis le départ du bassiste, le seul musicien à peu près au niveau, et parce que c’est moins risqué que d’autres carrières artistiques : vous pouvez exercer un métier à côté. Enfin, vous n’avez pas besoin de matériel, ni de suivre une coûteuse et indispensable formation.
Fort bien, vous êtes au moins quarante mille à ce stade.
De plus, vous avez réfléchi, vous savez qu’il vous faudra être sérieux, écrire, passer du temps à cette tâche ingrate, pendant que d’autres se font connaître facilement via Secret Story, mais pour une durée trop éphémère pensez-vous. Mais il reste ce doute affreux qu’eux aient été connus à un moment de leur vie, tandis que vous jamais.
Mais si la gloire arrive, avec les honneurs et tout le tralala ? Serez-vous capable d’en accepter certains, mais d’en refuser d’autres et de continuer à travailler, en vue d’une gloire qui grandira encore ? Jusqu’où s’arrêter d’ailleurs ? Croyez-vous à la gloire post-mortem ? C’est une belle idée, c’est la vie éternelle à la portée des rationnels. Lautréamont n’aura jamais connu la gloire, vous dites-vous d’ailleurs, mais il l’aura obtenue au-delà de la mort.
Si au contraire, comme Dominique Strauss-Kahn vous ne pouvez pas attendre, ne risquez-vous pas de viser le sensationnel et l’esprit à la mode ? Car vous devez plaire aux jurys, aux éditeurs, à ceux qui participent à l’engouement pour un style qui n’est pas forcément le vôtre. Vous devrez alors vous plier à leurs exigences, à leurs canons, à leurs critiques, avec toute l’humilité servile que vous pourrez manifester. Vous serez, tel un commercial, à faire du sur-mesure pour tâcher de satisfaire vos deux clients : les éditeurs et les lecteurs.
Mais est-ce vraiment ça, l’abnégation ? Voulez-vous créer pour être célèbre à plus ou moins long terme, à n’importe quel terme à vrai dire, pourvu qu’il dure longtemps ? Ou bien pour l’honneur de créer quelque chose de Beau, pour l’honneur d’apporter quelque chose à l’Art ? Quitte à travailler en dehors de toute gloire, et en sachant risquer de n’en gagner aucune.
Et quel sera votre moteur : l’orgueil de révéler votre valeur, l’esprit consciencieux du stakhanoviste accompli, la confiance en l’avenir, en ces lendemains qui chantent ? Comment maintiendrez-vous l’effort ?
Mais, rassurez-vous, ces questions n’ont pas grande importance au vu de votre talent. Vous êtes quarante mille à vouloir encombrer nos étagères, vous êtes mille à y arriver, vous serez cinq à y rester. Et la gloire sera seule dévolue à
Gustave Borjay, qui se fatigue encore à vous saluer.
- Je suis livreur de pizza et moine boudhiste
- Je fais les trottoirs le jour et je distribue des tracts pour Martine Aubry la nuit
- Je suis facteur dans la Creuse et je parraine un pingouin en Tanzanie