Je m’étonnais en Septembre de la résilience —proche de la résignation— des américains face au dépeçage systématique des budgets sociaux en Californie, et partout dans le pays, depuis trois ans. Comme me le rappelle le laconique commentaire de Dani the Red à la suite de l’article précédent, il est temps de mettre à jour ce point de vue à la lumière des protestations « anti-Wall Street » qui ont vu le jour en Octobre à New York, jusqu’à atteindre Los Angeles (photo) au cours des dernières semaines.
Même si on est très loin des mobilisations de masse dont on a l’habitude en France et en Europe (les manifestants se comptent ici en centaines, voire en « douzaines »), le phénomène mérite d’être relevé dans un pays où le remboursement des jours de grève est une blague et où l’on manifeste le plus souvent en dehors des heures de travail et les week-ends (forcément, c’est moins motivant !).
C’est amusant de constater que la Gauche américaine adopte « la protestation à la française » sous un gouvernement de gauche, à l’heure où la Gauche française adopte « les primaires à l’américaine » sous un gouvernement de droite. La mondialisation des anti-mondialistes est en marche. Mais la comparaison s’arrête là. Ce qui me frappe davantage, c’est la pertinence des messages de ces « Tea Party » de gauche, qui ne sont pas focalisés sur des revendications defensives (« touche pas à mes avantages »), mais sur des appels à la transformation —positive— des priorités, pour remettre les citoyens plutôt que les « intérêts particuliers » (ie. les lobbies) au coeur des politiques du gouvernement.
Le résultat est que même les plus droitiers peinent à diaboliser ce mouvement, comme il aurait été facile de le faire au nom des « changements nécessaires » s’il s’était perdu dans la défense d’intérêts corporatistes et syndicaux. Fox News est bien entendu tenté de dépeindre les manifestants comme une bande de beatniks inconscients, nostalgiques fumeurs de marijuana, mais la comparaison ne soutient pas les images et l’articulation du discours des manifestants.
Surtout, les « Anti Wall Street » rejoignent le sentiment extrêmement populaire que justice n’a pas été faite à la suite de la crise financière provoquée par les banques (qui ont retrouvé leurs pratiques, et bonus, d’avant), et leurs revendications sont appuyées par des réalités qu’il n’est plus possible de nier : quand 1% de la population américaine a vu ses revenus augmenter de 18% au cours des dix dernières années, 99% a vu son niveau de vie décliner de 12%, jusqu’à placer les Etat-Unis au même rang que la Russie et l’Iran en termes d’inégalité de revenu (mais avec un niveau de revenu moyen supérieur, il faut tout de même le rappeler).
Pour leur propre bien, il serait temps que les 1% réalisent l’écart qui les sépare désormais du reste de la population. Comme le conclut l’économiste et Prix Nobel américain Joseph Stiglitz dans un récent article publié en Mai dernier par Vanity Fair (« The Fat and the Furious ») :
The top 1 percent have the best houses, the best educations, the best doctors, and the best lifestyles, but there is one thing that money doesn’t seem to have bought: an understanding that their fate is bound up with how the other 99 percent live. Throughout history, this is something that the top 1 percent eventually do learn. Too late.
« Les 1% les plus riches ont les meilleures maisons, la meilleure éducation, les meilleurs médecins, et les meilleurs modes de vie, mais il reste une chose que l’argent ne semble pas avoir acheté: la réalisation que leur destin est lié à la façon dont vivent les autres 99%. A travers l’Histoire, c’est quelque chose que les 1% les plus riches finissent par comprendre. Trop tard. »
Que l’on fasse ou non partie des 1%, des 5%, ou même des 10%, la remarque semble teintée de bon sens. Je ne sais pas si le mouvement des « Anti Wall Street » fera long feu (les hivers sont rudes dans les rues de New York !), mais il est certain qu’il influencera les prochaines élections de 2012 aux Etats-Unis. Il reste à espérer que le pragmatisme l’emporte sur l’idéologie des « Tea Party » des deux bords. Mais ça, c’est pas gagné.