(ENGLISH VERSION) C’est Cyril qui m’ avait annoncé la nouvelle.
« Flèche, viens demain matin à Antraigue sur Volane, on va aller à la pêche avec Jean Ferrat ». Pour une fois, ce n’était pas une blague (dont mon ami est un spécialiste incontesté ). En effet, sur la place de ce délicieux village ardéchois, vint se garer une splendide limousine noire d’où émergea en personne le grand Jean Ferrat.
Il me donna une solide poignée de main en se présentant « Jean Ferrat ». Mon Dieu qu’il était beau et élégant avec sa moustache blanche, ses yeux pétillants de malice et sa crinière qui ondulait comme une cuillère Mepps. Et simple comme peuvent être simples les grands de ce monde : Gandhi, De Gaulle, le prince Rainier de Monaco et j’en passe.Nous nous installâmes sur le siège arrière de son merveilleux véhicule et… en route vers la rivière. « Nous allons bien pécher la Volane ? » demandai-je en me frottant les mains de plaisir.
_ « Non ! Que dalle ! » Répondit Ferrat. « Nous allons dans un coin où il y a plein de poiscaille . On va se marrer, c’est moi qui vous le dis ! On va sur des lacs de montagne, là-haut, sur le plateau ardéchois . Il faut payer un peu, mais au moins, on va se fendre la gueule ! »
Et moi qui en rêvai de cette Volane, délicieuse petite rivière de l’Ardèche. Un peu difficile, c’est vrai, mais tellement jolie et des truites à la robe si belle, pas bien grosses, c’est sûr, mais des batailleuses sans pareil. Et merde…Bon… Enfin..va pour les lacs de pêche.
- Dites-moi monsieur Flèche, qu’est-ce que vous faites dans la vie ?
-Je fais de la peinture.
- En bâtiment ?
- Euh !..non, en fait ce serait plutôt des trucs « artistiques » vous voyez le genre ?
- Ah ! De l’Art ! Moi j’aime ça, l’Art. J’ai une reproduction du clown triste de Bernard Buffet dans ma chambre. Une merveille. Au moins, là, on comprend. C’est pas comme tous ces trucs modernes à la Picasso. Ils nous prennent pour des cons ou quoi ? Une tache de rouge, un bâton, un triangle. De l’Art, ça ? Et le peuple, comme toujours, on se fout de sa gueule et on se fait des montagnes de fric sur son dos avec des cochonneries pareilles ! »
Moi, je commençais sérieusement à me recroqueviller sur mon siège et fermai ma gueule jusqu’à notre arrivée sur le lieu de pêche. Le propriétaire de l’endroit, reconnaissant la vedette de la chanson, nous accueilli bras ouverts et insista pour prendre une photo polaroïd de Jean Ferrat devant le bar, photo que la star lui dédicaça : « Paix et amitié . signé : Jean Ferrat »
Et nous nous installâmes au bord de ce lac, grand comme ma cuisine, où patrouillaient des troupeaux de truites arc-en-ciel. Jean Ferrat ouvrit sa mallette et en sortit une canne à lancer. Au bout du fil il accrocha une énorme cuillère à hameçon triple certainement capables de tenir en respect les plus gros tarpons cubains et se mit à le balancer dans la flotte. À peine le leurre toucha la surface de l’eau qu’une « truite » s’en empara et la malheureuse fut mise au sec en une seconde. Là, Jean Ferrat sortit de sa musette un marteau et tapa commun ferronnier sur la tête de la pauvre bête en chantonnant : « Mon Dieu, que la montagne est belle… » en essuyant avec son mouchoir les giclures de sang qui souillaient son blazer bleu marine. L’opération se répèta plus d’une dizaine de fois. Moi, de mon côté, je n’avais pas eu la force de sortir ma délicate canne à mouche tellement la scène était féroce, paralysante, digne du plus horrible film d’épouvante .
« Putain ! qu’est ce qu’on s’est marré! » dit Jean Ferrat en balançant son sac de truites mortes dans le coffre de sa voiture. « Allez, on se casse. J’ai rendez-vous à Entraigues pour une interview avec un journaliste des « Lettres Françaises ».
Quelques mois après, j’appris par la presse la disparition de Jean Ferrat et me rendit à Entraigues afin de de « sentir » l’événement sur place. Le bistrot était plein de monde. Tous la larme à l’oeil. « Quand même, il ne méritait pas ça, notre Jean ! Et dire que Johnny est toujours vivant ! Quelle injustice. Une honte ! ».
En sortant du bistrot, sur le trottoir, se baladait un type en T-shirt rose sur lequel était imprimé en lettres blanches « Faites gaffe, les minettes ». Il tenait en laisse un doberman qui se mit à m’aboyer dessus en exhibant des canines peu aimables.
« Ta gueule, Potemkine » hurla le propriétaire du monstre en tirant vigoureusement sur la laisse et en exhibant un marteau au molosse qui se calma immédiatement.
« Faut pas avoir peur » me dit le type. « Vous risquez rien ! ». Et il me montra le marteau sur le manche duquel on pouvait lire l’inscription : « Paix et amitié. Signé : Jean Ferrat »
It was Cyril who told me the news.
« Fleche, tomorrow morning come to Antraigue on Volane, we’re going fishing with Jean Ferrat ». For once my friend wasn’t joking (of which he is the uncontested specialist). Effectively, on the square of this lovely Ardeche village a splendid black limousine was parked and the great Jean Ferrat emerged. He gave me a solid handshake and presented himself: « Jean Ferrat ». With his white moustache, mischievously sparkling eyes and a mane that undulated like a Mepps spoon; he was truly elegant. My God he was handsome. And simple. Like the greats of this world can be simple: Gandhi, De Gaulle, Prince Rainier of Monaco and others.
We installed ourselves in the back seat of his marvelous vehicle and hit the road for the river. « So we’re going to fish the Volane? » I asked rubbing my hands together with pleasure.
« No, no! There’s nothing there! » Ferrat responded. « We’re going to a spot where there’s lots of fish. And I’m telling you, we’re going to have a good time! We’re going to the high plateau of Ardeche to fish the mountain lakes. You have to pay of course, but at least we’ll have have a good time! »
And me who dreamed of the Volane, dreamed of that delicious little Ardeche river. It’s difficult, that’s for sure, but it’s so lovely and the trout are so beautiful, not too large it’s true but great fighters without equal. And shit… oh well, why not… let’s go fish the lakes.
« Tell me Mr Fleche, what do you do? »
« I paint. »
« A housepainter? »
« Eh!… in fact, no, I do more or less « artistic » stuff, you know what I mean? »
« Ah! Art! I like that, art! I have a reproduction of a sad clown by Bernard Buffet in my bedroom. It’s marvelous. At least that is something one can understand. It’s not like the modern stuff, like Picasso; he thinks we’re a bunch of idiots or what? A spot of red, a stick, a triangle. That’s Art? They think they can put one over on us? And with that kind of junk they make a mountain of dough on our backs! »
I cowered in the back seat and kept my mouth shut all the way to the fishing site. The owner of the place, recognizing the singing star, welcomed us with open arms and insisted in taking a polaroid of Jean Ferrat in front of the bar, a photo which the star dedicated: « Peace and Friendship » signed: « Jean Ferrat.
We installed ourselves at the edge of the lake, which was about the size of my kitchen, and saw troops of rainbow trout on patrol. Jean Ferrat opened his case and took out a spinning rod. At the end of the line he attached an enormous spoon with a triple hook, capable of respectably fighting huge Cuban Tarpons, and he began to toss it into the water. The lure barely touched the surface of the water when a « trout » seized it and in a nano second the unfortunate was on dry land. Jean Ferrat then pulls a hammer out of his sachtel and starts banging the poor beast on the head like a blacksmith, singing: My God, the mountain is beautiful » while wiping off the spatters blood on his blue blazer. The operation was repeated more than a dozen times. As for me, I didn’t have the spirit to pull out my delicate flyrod in a scene so savage and paralyzing; worthy only of the most terrifying horror movie.
« Damn! We had a great time! » glowed Jean Ferrat tossing his bag of dead trout into the trunk of the car. « C’mon. Let’s go. I have an meeting in Entraigues with a journalist from the Lettres Francaises ».
A few months later I learned of the death of Jean Ferrat and I headed for Entraigues in order to get a feel of the events in his village. The bistro was packed with people. Everyone with tearful eyes. « Still and all, he doesn’t deserve that, our Jean. To think that Johnny is still alive! What injustice. What a shame! »
On leaving the bistro I saw a guy strolling near the curb wearing a pink T-shirt with white lettering that read: « Watch out chicks ». He had a doberman on a leash that started growling and flashing his unfriendly canines.
« Shut-up Potemkin » screamed the owner of the monster, vigorously pulling on the leash and brandishing a hammer; the beast immediately relaxed.
« You don’t have to be afraid of him » said the guy « there’s no risk. » And he showed me the hammer with an inscription on the handle that read: « Peace and Friendship » it was signed: Jean Ferrat.