CHÈRE
(extrait)
28.
Je me souviens de ses frémissements ; c’était comme si elle abritait au fond d’elle-même, un petit noyau pulsant et que sans cesse elle se tournait vers lui…
J’imaginais les pensées qu’elle roulait sur elle-même : « Ah ! oublier le monde et ses rigueurs d’hiver ! Ah comme j’ai froid ! »
C’était comme si un souffle à forte odeur de neige la faisait frissonner. Vibrer ou rayonner. C’était tout un pour elle. Ni son, ni lumière pourtant. C’est entre les deux qu’elle tanguait. D’un bord du jour à l’autre. Perdue derrière ses longs cheveux noirs.
29.
Elle prenait des libertés avec son corps, elle le voyait flotter au-dessus des falaises : ses bras épanouis suivaient l’ample dessin dont ses mains entouraient les anses du ciel.
Elle nous renversait. Allez, redisons-le. N’est-ce pas autour de cela que nous tournons ? De cela qui faut. Brèches qu’elle taille dans nos yeux. Et ce sont des blocs qui finissent par s’ébouler sous les paupières. C’est toujours cela que l’on attend quand on la regarde. Un bruit de pierres dans l’éboulis. Une “enfuie”. Souviens-toi !
30.
L’as-tu déjà vue courir ? Ses pieds se poursuivaient, et elle semblait bien à son aise, dominant leur course double de toute sa belle silhouette ; ça n’était pas galop, c’était glissade ou mieux encore, élancement des ailes dans la nuit.
Moi, c’est penchée que je la revois. Penchée sur le sol, occupée à effacer les traces qu’elle laissait. Cul pointé ― l’on en riait parfois ! ― vers rien d’autre que ce grand chemin de terre qui tournait là où le cyprès jouait de toutes ses branches avec l’écharde bleue du vent plantée dans la poussière que levait son impossible pouvoir de destruction. Ah ! les chemins battus ! Qui dira jamais leurs pouvoirs ! Allez plus de traces ! Rien que le ciel pour miroir et nulle autre couleur que celle du vide.
31.
Dans l’ombre des miroirs où l’eau se fige, elle ne cessait de s’étonner : cette image en dehors d’elle, et devant elle se mouvant comme elle, était-ce elle ?
Déjà elle basculait dans le vide. Je la vois encore fermer les yeux du ciel et sur l’épaule d’un dernier éclair abandonner sa chevelure aux menthes fraîches de la nuit.
Alain Freixe & Raphaël Monticelli *, « Chère » in Madame des villes, des champs et des forêts, Éditions L’Amourier, Fonds Poésie, collection dirigée par Alain Freixe, 2011, pp. 30-31-32.
* Note d’AP : Dans ces écritures croisées, Alain Freixe a choisi le romain et Raphaël Monticelli l’italique.
ALAIN FREIXE
Source
■ Alain Freixe
sur Terres de femmes ▼
→ Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
→ Vers les riveraines (lecture d’AP)
→ À l’étrangère (extrait de Vers les riveraines)
→ Bleu plié au noir
→ Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)
■ Voir aussi ▼
→ P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours
RAPHAËL MONTICELLI
Source
■ Raphaël Monticelli
sur Terres de femmes ▼
→ Terres de l’enfuie
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions L’Amourier) une fiche bio-bibliographique sur Raphaël Monticelli
→ (sur remue.net) L’écriture en Bribes de Raphaël Monticelli (Jean-Marie Barnaud - 28 février 2011)
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