La conférence du Nobel de Mario Vargas Llosa nous vaut un bel éloge de la lecture et de la fiction, gages de liberté.
Mario Vargas Llosa avait 5 ans lorsqu’il apprit à lire. «C’est ce qui m’est arrivé de plus important dans la vie», affirme-t-il au début de son éclatante Conférence du Nobel intitulée Eloge de la lecture et de la fiction, parfaite introduction à son œuvre grande ouverte sur le monde. Si la lecture le fit magiquement entrer dans le sous-marin du capitaine Nemo et ferrailler aux côtés de d’Artagnan, c’est par l’écriture qu’il commença de prolonger ou corriger la fin des histoires qui remplirent son enfance. Son dernier roman, Le rêve du Celte, est d’ailleurs traversé par un souffle épique de roman d’aventures. Rien d’innocent cependant dans les menées de son héros, Roger Casement (1864-1916), pendu à la fin du premier chapitre comme un criminel, et dont la trajectoire retracée ensuite est celle d’un accusateur féroce du colonialisme, au Congo belge puis dans l’Amazonie péruvienne, dont l’action prélude en outre à l’indépendance de l’Irlande.
Après son portrait mémorable du dictateur Trujillo, dans La Fête au bouc, Vargas Llosa montre une fois de plus sa connaissance profonde des motivations humaines et des rouages politiques, acquise avec l’expérience. C’est pourtant «au paradis» que le jeune Mario vécut sa première enfance, avant de perdre son innocence à onze ans. Alors, en effet, on lui révéla que son père, déclaré mort jusque-là, ne l’était pas. Ayant rejoint ledit paternel à Lima, il découvrit «la solitude, l’autorité, la vie adulte et la peur». Avec, pour seul salut, la lecture et «cette passion, ce vice et cette merveille: écrire, créer une vie parallèle où nous réfugier contre l’adversité, et qui rend naturel l’extraordinaire, extraordinaire le naturel, dissipe le chaos, embellit la laideur, éternise l’instant et fait de la mort un spectacle passager».
Tout enseignant de littérature devrait lire et faire lire ce lumineux opuscule de Vargas Llosa. Tranquillement «intime» dans la reconnaissance déclarée à Patricia, qui lui donna trois enfants et n’hésite pas, elle qui «fait tout et fait tout bien», à lui dire: «Mario, tu ne sers qu’à une chose, à écrire»… Mais également lucide dans ses observations d’ex-révolutionnaire de vingt ans, déçu du communisme et rejetant ensuite toute forme de dictature. De ses tribulations personnelles, l’écrivain tira La ville et les chiens, tableau virulent de l’académie militaire où son père l’envoya et qui établit sa première gloire. Par la suite, l’autobiographie céda le pas à des romans polyphoniques de plus en plus ambitieux et percutants, tels Pantaleon et les visiteuses et Qui a tué Palomino Molero?, stigmatisant le fanatisme militaire ou religieux.
«Citoyen du monde», parce qu’il devint lui-même dans le Paris de Sartre et Malraux, puis à Barcelone dans les années 70, entre autres multiples lieux où il habita, Varga Llosa l’est naturellement, attaché à sa patrie natale (ce Pérou dont il faillit devenir le président très libéral en 1990), ou à l’Espagne, dont le roi le fit marquis. Il se qualifie encore d’ennemi du nationalisme en lequel il voit «la cause des pires boucheries de l’histoire», ce qui ne l’a pas empêché de soutenir un candidat nationaliste aux dernières élections présidentielles péruviennes…
Mario Vargas Llosa. Eloge de la lecture et de la fiction. Gallimard, 48p.
Le rêve du Celte. Galimard, 388p.