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Notes en chemin (27)

Publié le 28 octobre 2011 par Jlk

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Autostrades. – On descendait en Italie, dans les années 50 et 60, par les premières autoroutes européennes, avec les allemandes, qu’on appelait alors des autostrades, et ce matin nous nous retrouvons sur cette Via Aurelia dont le nom fleure l’antique et qui de San Remo file vers Savona et ensuite, changeant de nom, vers Genova et  La Spezia, Livorno et Roma ou plus bas vers l’Italie africaine.

Or, autant l’autostrade contrevient de plus en plus à la lecture des paysages, autant elle est propice à celle des livres que nous avalons avec les kilomètres, Lady L. conduisant et moi lui lisant la belle et bonne conférence du Nobel donnée l’an dernier à Stockholm par Mario Vargas Llosa, intitulée Eloge de la lecture et de la fiction et célébrant par conséquent ce qu’on pourrait dire la révélation du monde et l’invention de cette fausse réalité plus vraie que nous appelons la littérature.

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Il n’y a presque plus de paysage lisible aux fenêtres de la Jazz Hybrid, que les monts pelés de la côte ligure, puis les amoncellements urbains des approches de Gênes - on est de nouveau précipité entre tunnels et viaducs, mais dans le volée on lit ceci qui vaut bien des horizons : « Tout comme écrire, lire c’est protester contre les insuffisances de la vie », ou cela encore : « Nous serions pires que ce que nous sommes sans les bons livres que nous avons lus ; nous serions plus conformistes, moins inquiets, moins insoumis, et l’esprit critique, moteur du progrès, n’existerait même pas »…

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Le vrai et le faux. – En plongeant de Turin à Savona j’avais repris la lecture des nouvelles du compère Bertrand Redonnet en son succulent recueil du Théâtre des choses, où le voyage se poursuit entre Bretagne et Garabagne polonaise, jetant d’autres passerelles entre nos humanités.

Bertrand Redonnet est un drôle de loup français des steppes. Il vient de Maupassant et va vers les conteurs russes à la Leskov, via la poésie anar bien rythmée et mélodieuse de son cher Brassens, et ses humanités se peaufinent entre isbas et gargotes, comme en ce troquet de l’île de Ré où le voici tomber sur le type le plus farouche qui soit, « seul au monde » dit le titre, parangon peut-être de ce qu’on pourrait dire un frère humain voire un « copain d’abord », à cela près que les circonstances de la vie, les gènes et la gêne de ce qu’on appelle la « nature humaine » ont fait de cet individu visiblement sorti de taule ce qu’on dit précisément dans les journaux : un Individu, cet Individu - l’Individu a encore sévi, l’Individu court toujours…

Devrais-je m’inquiéter d’éprouver en somme, et quoique n’ayant aucun goût pour le crime de sang ou de sexe, de meilleurs sentiments pour un tueur en série, violeur de surcroît, vraiment la lie des ergastules, que pour deux mannequins italiens flanqués de leur clique et nous imposant, sur le môle de Portofino, le théâtre débilitant de leur shooting d’enfants de pub ? Je ne sais pas, ou plutôt je sais trop bien…

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C’est que l’homme de Seul au monde existe, par la grâce d’un écrivain vrai, tandis que la pauvre comédie des top models et de leur escorte de malabars asexués se réduit à du tout simili, singerie d’imitation et tutti quanti, autant que celle des Ricains friqués et fardés des terrasses, là-bas, de l’autre côté du port, débarqués en troupe molle de la « ville flottante » qui mouille au large, blanche comme un mirage…   

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Toc et kitsch. – Le toc et le kitsch sont la matière première du dernier Fellini d’Intervista, satiriste inégalé quoique toujours tendre de la télé berlusconienne avant l’heure, et sans doute le Maestro se régalerait-il, autant que nous, à la vision de la pacotille artistique prétendue avant-gardiste ornant les jardins de Portofino de ses sculptures prétendues dérangeantes, genre Documenta de naguère et jadis ou Biennale de Partout, entre autres Galeries Pilotes de Nulle part.
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Saluons donc le rhinocéros suspendu et  combien symbolique probablement, les éphèbes de résine revisitant l’Antiquité d’un Winckelmann de backroom, ou les monstres divers renvoyant à la monstruosité diverses du monde nondialisé, enfin saluons les lemmings roses, dressés sur leur pattes de derrière avant le grand saut collégial -  saluons la jolie fumisterie avant de gagner la terrasse ombragée, là-bas, où nous attend le toujours authentique risotto ou les raviolis fleurant l’Italie véridique…  

Maria Vargas Llosa. Eloge de la lecture et de la fiction;  conférence du Nobel 2010. Gallimard, 48p.

Bertrand Redonnet. Le Théâtre des choses. 10 nouvelles de France et de Pologne. Antidata, 115p.  


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