Magazine Journal intime

L'Esthétique Estime De Soi . (The Self-Esteem)

Publié le 26 février 2008 par Mélina Loupia
Il est sept heures super précises. Même pas je le bouscule, il ne se réveille pas, j'ai l'habitude. Je lui avais promis un café il y a quelques heures au moment du coucher, je file mettre ma menace à exécution dans la cuisine. En passant par le salon, je ne trouve pas Arnaud, levé toujours avec les poules du voisin. Il est retenu en otage chez les parents de Copilote, mais il est bien traité, même si je n'ai pas encore eu de nouvelles. Pendant que la caféine se dissout dans les tasses, je songe à ce que je vais bien pouvoir trouver à me mettre sur la carcasse. Non pas que l'hiver soit rude, mais tout de même. Avant le passage par la salle de bains, je savoure ce petit duo fumant avec un quart de la lucidité de mon compagnon de literie, à qui je pourrais très bien annoncer que je le quitte pour un plus jeune, grand, mince, beau et riche que lui sans qu'il n'oppose la moindre objection à mon départ. Puis je me plante devant le placard des fringues grand ouvert. Puisqu'il n'a pas de portes, il m'est bien plus pratique de me faire une idée générale de ma garde-robe. Puisque je n'ai qu'une ou deux robes qui prennent la poussière dans la penderie juste à côté, le choix se restreint. Mais pas question d'enfiler un jean sans lui rendre un aspect classieux, magnifié par un haut élégant. Je choisis donc la petite tunique beige en coton avec la petite chipie et sa robe-tablier décousue derrière laquelle les moins respectueux de ces messieurs chercheront à lire les quelques mots que mon opulente poitrine cachent. Mes grandes chaussettes rayées camouflées dans mes bottines larges en daim noir jurent avec l'écharpe marron mais équilibrent mon blouson sans manche ébène. Maintenant que je me considère à l'aise dans mes frusques, un ravalement de façade s'impose. Je n'ai plus tout à fait un quart ni une moitié de siècle à mon actif et les rangées de jardin potager qui s'installent gentiment sur mon visage ne me posent réellement pas de problème. Là où le bât blesse, c'est les cernes d'un violet velouté qui eux ont élu domicile sous mes yeux depuis trop de temps pour que je me souvienne de leur emménagement. Quant à la pâleur de mon teint, il paraît qu'elle est à la mode, surtout en hiver quand comme moi, travailleur pauvre, on a plus les moyens de se dessiner de fausses lunettes de ski à l'autobronzant que de crâner en les mettant sur le front au bas des pistes enneigées. Mais je n'ai que du blush d'un rose candide, un vieux fard à paupières blanc et un tube de rimmel noir quasiment sec. En deux minutes, je ressemble à un hibou mal embouché croisé avec Heidi qui rentre de la traite des vaches, mais la touche discrète de parfum dont je m'auréole complète un ensemble dont l'idée est plutôt satisfaisante. Lorsque je vais embrasser Copilote, je sais qu'il ne me demandera pas de faire sortir le chat qui m'a chié dans la bouche mais plutôt qu'il me trouvera belle, odorante et particulièrement attirante, de quoi le faire se rendormir comme un bienheureux. C'est ainsi que contrairement à ces trois dernières années, je sors de chez moi avec l'assurance et presque l'envie d'être vue, regardée et pourquoi pas désirée. Pour un peu, je me retournerais sur moi si je me croisais. Mais je suis assez pressée et anxieuse. Je vais démarrer ma première journée de travail. Et je repense à ces dames qui passaient à ma caisse, apprêtées comme pour la noce, le rouge à lèvres débordant des commissures, la laque figeant la nuque comme la tignasse et le tailleur encore empreint de naphtaline, qui se faisaient belles pour aller simplement faire les courses. Je les trouvais belles, mais pathétiques. Et finalement, aujourd'hui, je me range de leur côté. Je n'aurais pas imaginé sortir de chez moi juste habillée et lavée. Je voulais me trouver belle. Juste assez pour me donner envie d'avancer dans la journée. "Et franchement, quand tu rentres à la maison, tu préfèrerais quoi, me trouver comme là, en pyjama, pas maquillée ni habillée ou comme hier? -Franchement, je m'en fiche. -Autrement dit, tu me regardes plus, je pourrais me raser la tête et me laisser pousser les pieux sur les quilles que ça te perturberait pas. -Mais nan, juste j'ai toujours la même image de toi dans ma tête, qui n'a rien à voir avec tes habits, ta coiffure ou ton parfum, c'est toi, juste toi que je vois. Et toi? -C'est vrai que finalement, quand j'y réfléchis, j'aime autant de voir en tenue de taf qu'en survêt de maison. -Mais pourquoi tu me demandes ça maintenant là? -Comme ça, juste je me rappelais de ces mamies qui passaient à ma caisse maquillées comme des voitures volées l'autre jour. -Tu vas pas en faire un texte quand-même? -Mais nan, je crois que j'y pense parce que je me suis trouvée bien pour la première fois de puis longtemps hier, quand je me suis un peu arrangée. Juste une histoire d'estime de soi. -Et d'esthétisme aussi. -Un peu des deux si tu veux, allez, finis ta clope que je me caille dans ce putain de cellier."

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