Je referme à l’instant Donne-moi tes yeux de Torsten Pettersson, neuvième et dernier ouvrage de la sélection reçu à l’occasion du prix du meilleur polar des éditions Points.
J’espérais pouvoir le coupler aux deux ouvrages dont je vous parlerai bientôt, ceux que je considère comme bons, mais pour le coup il y aura donc eu 5 bouquins peu engageants et 4 de bonnes qualité. Et « Donne-moi tes yeux » fait donc partie des 5 décevants (ou carrément mauvais voire bouseux comme j’ai eu l’occasion de le détailler).
A vrai dire, le titre déjà me semblait d’une certaine facilité, pas franchement accrocheur et plutôt creux… Erreur de ma part, car le roman est tout son contraire : lourd. Long. Surfait. En un mot : chiant.
L’intrigue générale avait pourtant de quoi fonctionner : trois morts, une enquête, un probable tueur en série, et un tour de passe-passe entre meurtres et suspicions, le tout raconté uniquement par l’intermédiaire de « documents fixes » - enregistrements, journaux intimes, textes divers et variés…
Passées ces bases encourageantes, le problème essentiel tient dans la narration, d’abord parce que Pettersson jongle de façon assez incohérente entre personnages et styles littéraires. On se retrouve ainsi à des années-lumières de la machinerie magistralement huilée d’un James Ellroy ou d’un Pete Dexter où même le superflu est un bonheur pour le lecteur. Et pour le coup, c’est justement le superflu qui l’emporte, puisque chaque personnage de Donne-moi tes yeux semble incapable d’intervenir dans l’intrigue sans avoir par avance balancé l’intégralité de son C.V. en plusieurs exemplaires et avec l’entretien d’embauche en prime. Pettersson sert en effet à son lecteur toute une série de biographies épuisantes en détails pour en venir à un maigre élément répondant à l’intrigue, procédé qui me rappelle une lecture de longue date, le Jeux de guerre de Tom Clancy (l’un des Clancy à l’écriture lourde, loin derrière Octobre rouge ou Rainbow Six). Dans celui-ci, alors que des personnages centraux (la femme de Jack Ryan et son fils) allait se faire tirer dessus, Clancy sautait soudain dans sa narration pour évoquer la vie d’un shériff local, procédé qui venait ralentir au maximum le moment de tension et lui permettait de faire voir la fusillade depuis un autre témoin, loin des premières loges, amplifiant du coup le côté dramatique… Et pour le coup, ça fonctionnait, car Clancy avait eu la bonne idée de ne faire sauter sa narration que le temps d’une page ou deux, et pas quarante comme Pettersson !
Parce que l’histoire de Nadja, prostituée russe arrivée en Suède suite à la disparition de son père, la mort de sa mère (qui travaillait dans une usine), après être passée chez sa grand-mère avec son frère, avoir cherché à quitter la Russie pour travailler en Suède – et je vous passe toute la série de péripéties qui s’enchaînent et la naïveté de la fille, le tout à la limite d’égaler par instants Les infortunes de la vertu de Sade) -, tout ça alors que le lecteur est embarqué dans une histoire de meurtre en série et attend patiemment son deuxième cadavre (40 pages tout de même, pour 4 d’utiles à l’intrigue), eh bien, cette histoire de Nadja, elle fatigue son lecteur. Sans compter ce paragraphe que je viens de pondre, quin’est pas très clair en tant que résumé mais confirme le chaos du roman…
Et tout cela appliqué à près de six personnages différents, auxquels s’ajoutent des détails attenants aux personnages secondaires, détails pour une bonne part aussi inutiles que les précédents. Avec au final le style plat, l’absence d’ambiance et le peu d’intérêt suscité pour les personnages, tout cela n’aide pas à embarquer le lecteur dans l’histoire. Ajoutez enfin un usage des temps (passé-présent) par moments approximatif, et vous tenez le résultat sur près de 400 pages dont on se passe aisément.
Comme quoi, le polar nordique tient définitivement de l’effet de mode, et pour un Stieg Larsson, il y a beaucoup de ratés à écrémer.