31 octobre 1926 | André Gide, Voyage au Congo

Publié le 31 octobre 2011 par Angèle Paoli
Topique : Voyage et récits de voyage
Éphéméride culturelle à rebours



Source 31 octobre.
  

  Levés avant cinq heures. Thé sommaire. On plie bagages. Sur l’arène, derrière la maison, sont groupés nos porteurs (60 hommes, plus un milicien, un guide indigène, nos deux boys et le cuisinier ; plus encore trois femmes, accompagnant le milicien et le guide). Le chef est venu nous dire adieu. Clair de lune brumeux. Nous partons dans la douteuse clarté d’avant l’aube, précédant le gros de la troupe, avec nos boys, nos tipoyeurs, le guide, le garde, et les porteurs de nos sacs.
  L’interminable forêt met à l’épreuve notre inépuisable patience. Je n’ai pu achever hier ma lettre au Gouverneur. Hélas ! impossible d’écrire, ni même de prendre des notes ou de lire en tipoye. Je me résigne à y monter qu’après cinq heures de marche assez fatigante, car le terrain, sablonneux d’abord, devient, durant les derniers kilomètres, argileux et glissant. Après un court repos en tipoye, cinq kilomètres de marche encore. Pas de poste intermédiaire. Si longue que soit l’étape, il faut la fournir, car on ne peut passer la nuit en forêt, sans gîte, sans nourriture pour les porteurs. Forêt des plus monotones, et très peu exotique d’aspect. Elle ressemblerait à telle forêt italienne, celle d’Albano par exemple, ou de Némi, n’était parfois quelque arbre gigantesque, deux fois plus haut qu’aucun de nos arbres d’Europe, dont la cime s’étale loin au-dessus des autres arbres, qui, près de lui paraissent réduits en taillis. Les troncs de ces derniers, à demi couverts de mousse, semblent des troncs de chênes verts, ou de lauriers. Les petites plantes vertes qui bordent la route rappellent nos myrtilles ; d’autres, les « herbes à Circé » ; tout comme, dans le marigot d’avant-hier, des plantes d’eau rappelaient nos épilobes et nos balsamines du Nord. Nos châtaignes ne sont pas moins bizarres, pas moins belles que ces graines dont on ne voit à terre que les cosses velues. Pas de fleurs. Pourquoi nous signalait-on cette partie de la forêt comme particulièrement intéressante et belle ?
  À l’extrémité du parcours, le terrain, jusqu’alors parfaitement plan, dévale faiblement jusqu’à une petite rivière peu profonde, ombragée ; l’eau claire coule sur un lit de sable blanc. Nos porteurs se baignent.
  Les bains, dit-on, sont dangereux dans ce pays. Je ne parviens pas à le croire, lorsqu’il n’y a lieu de redouter ni crocodiles, ni insolations. Il ne s’agit pas de cela, disent certains docteurs, (et Marc me le répète après eux) mais bien de congestion du foie, de fièvre, de filariose… Hier, déjà, je me suis baigné. Qu’en est-il résulté ? Un grand bien-être. Aujourd’hui, je ne résiste pas davantage à l’appel de l’eau et me plonge délicieusement dans sa transparente fraîcheur. Je n’ai jamais pris de bain plus exquis. […]

André Gide, Voyage au Congo, Éditions Gallimard, 1927 et 1928 ; Collection folio, 1995, pp. 114-115.



ANDRÉ GIDE

Source

■ André Gide
sur Terres de femmes

→ 6 août 1923 | André Gide, Sulleone à Vizzavona
→ 8 septembre 1926 | André Gide, Voyage au Congo
→ 2 juin 1952 | André Gide mis à l'Index

■ Voir aussi ▼

→ (sur culture.fr) 666 photos du Voyage au Congo de Marc Allégret et André Gide (photographe le temps d'un voyage à travers l'Afrique équatoriale française et le Congo belge avec André Gide [1925-1926], le réalisateur Marc Allégret a réalisé à cette occasion quelque 2 000 négatifs acquis par les Archives photographiques [Médiathèque de l'architecture et du patrimoine], en 1989, puis en 2007)
→ (sur Terres de femmes) 20 novembre 1987 | Michel Cournot, Marc Allégret et André Gide




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