Elle m'avait dit.
Tu ne peux imaginer la puissance de l'amour que j'éprouve pour toi, ni la souffrance mêlée de joie chaque fois que je te découvre, ni la douleur ressentie pendant ton absence, ni cette torture perpétuelle qui me crucifie jusque dans le sommeil.
Les hommes sont trop terre à terre : ils ne comprennent jamais la complexité d'un sentiment qui, simultanément, nous déchire le cœur et nous attache à eux.
Vous n'avez jamais su vraiment aimer. Vos mères, maladroites femelles admiratives et extasiées devant les progénitures mâles sorties de leurs entrailles, vous ont trop donné sans rien exiger en retour. L'amour est un long apprentissage.Vous n'avez jamais été enivré par cette sensation brûlante d'un feu de lave qui parcourt nos artères jusqu'à enflammer votre esprit.
Aucun homme ne sait exprimer ses émotions comme une femme amoureuse sait le faire. Vous n'êtes que des apprentis de l'amour. Vos sentiments illusoires se tapissent en dessous de la ceinture. Vos pulsions animales sont proches du comportement des primates avec un insoutenable orgueil en plus.Les hommes sont indignes de leurs compagnes.Vous n'avez jamais su aimer...
Tu ne me mérites pas !
J'étais submergé par cette démonstration d'affection qui ravageait mon entendement. La culpabilité, l'indignité, le mépris que j'éprouvais envers moi-même accentuaient ma détresse et mon désarroi. Je n'avais plus assez de mots pour aimer : non seulement la force de mon attachement paraissait ridiculement faible mais les mots pour le dire me manquaient, en intensité comme en expression.Passion amoureuse. Exaltation dévorante. Souffrance exacerbée.
La jeune fille et la mort Édouard Munch 1894.
Et puis elle se tut.Un long silence.Un jour, elle me dit.Je suis enceinte de toi mais je ne veux pas garder cet enfant. Cette chose étrangère qui est en moi me ronge de l'intérieur, dévore ma vitalité, vrille mes entrailles. Son visage grimaçait de haine. Je ne veux pas d'un enfant qui te ressemble : rien que cette idée me révulse.
Je ne t'ai jamais aimé, je m'en aperçois maintenant, tu ne m'as jamais plu. Je ne veux plus te revoir. Cette chair maudite qui m'habite et dont je n'ai de cesse de la voir expulser, m'obsède. Je me sens comme possédée par un être malfaisant.
Je n'en puis plus.
Elle sortit une boîte d'un sac, elle contenait toutes les lettres que je lui avais envoyées. Venimeuse, elle les déchira une par une. Tétanisé par l'émotion et la tristesse, désemparé par tant de hargne, je la regardai agir sans esquisser un mouvement. Tout ce que j'avais jamais retranscrit de mes sentiments les plus intimes se transforma en confettis dérisoires.
De ceux qu'on aime, il est des phrases et des comportements qui deviennent des projectiles meurtriers : ils glissaient pourtant, détournés par une armure forgée au fil des ans.
Du moins le croyais-je...
Un mois plus tard.Dans ma montagne corse, j'ai pris une vieille pétoire de marque Manufrance des années 1930, un fusil de calibre 12 à canons juxtaposés avec des chiens visibles. J'ai marché avec mon chien jusqu'à mon petit coin secret, au fin fond d'une petite gorge, au bord du ruisseau, parmi les oiseaux les renards et les sangliers.J'ai engagé dans le canon gauche une balle à ailette, de celles qui fracassent le crâne d'un sanglier à 30 mètres, j'ai armé les deux chiens par sécurité. Je me suis assis sur ce rocher glacé recouvert de mousse, le fusil debout, calé entre mes cuisses. J'ai refermé ma bouche sur le double orifice des canons. Le visage crispé et grimaçant, les paupières serrées.De mon pouce j'ai appuyé sur la première détente.Le claquement sec du chien sur le percuteur.
Ce salopard de flingue n'a même pas daigné éjaculer.
Ce texte, vous l'avez compris, n'est que le fruit véreux d'une imagination morbide.
Enfin joyeuses fêtes à tous nos Saints dont l'exemplarité n'existe que dans notre imaginaire pervers.
À après.