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L'incroyable destin de Clarisse Manzon (30)

Publié le 01 novembre 2011 par Mazet

L’incroyable destin de Clarisse Manzon (30) : La passion derrière le crime ?

Au fil des jours, les témoins se succédèrent à la barre. On attendait monts et merveilles du témoignage du lieutenant Clémendot. Mais, ce personnage insipide, dont je me demandais comment il avait pu séduire Clarisse, endormit les dames de la tribune qui ne cachèrent pas leur déception en baillant derrière leur éventail. Il raconta de sa voix nasillarde toutes les histoires qu'on ressassait depuis plusieurs semaines. On put croire un instant que de longs frissons allaient courir dans les chairs lorsqu'il annonça son intention de livrer les quelques détails intimes qui avaient déchaîné les foudres de Clarisse « Parlez, Monsieur Clémendot, lui lança-t-elle aussitôt, je ne vous démentirai pas. ›› Dans les tribunes, les éventails s’immobilisèrent. Mais le président, qui ne souhaitait pas que les débats de l'austère affaire Fualdès s'engouffrent dans le dédale des passions, mit le holà : « La révélation de vos rapports particuliers avec la dame Manzon, dit-il, ne peut rien ajouter à l’hommage qu'on se plaît à rendre à votre sincérité. Allez-vous asseoir. ››

Parmi les dames, ce fut une immense déception. Ce président n'avait aucun sens de la convivialité! Les débats sombrèrent dès lors dans un marécage affligeant. On en vint même à se demander si, le soir du crime, les Bancal avaient mangé de la poule ou du veau. Le 3 septembre commencèrent enfin les plaidoiries. Me Merlin, avocat de la famille Fualdès, ouvrit le feu avec un plaidoyer dont une seule phrase résume la pitoyable nullité :

- Il me semble entendre la voix de ce magistrat infortuné dans cette même enceinte qui rappelle et rappellera à jamais et sa droiture et son dévouement au bonheur commun, vous adresser du fond de sa tombe ces lugubres paroles  “ Qu'avais-je fait pour mériter mon sort j'avais été bon ami, bon parent, bon père de famille, etc. ” ››

Les convictions du procureur général Juin de Siran s'étant un peu plus ébranlées au fil du procès, ce fut l'avocat général Mainier qui enchaîna sur un réquisitoire composé d'un ramassis de ragots dont il tira une conclusion sans panache : « Bientôt ce mystère d'iniquités a été éclairé, et on n'a pu se méprendre sur les auteurs de l’assassinat le plus horrible, inspiré par la cupidité la plus honteuse et exécuté avec la scélératesse la plus barbare. »

Les avocats de la défense firent ce qu'ils purent pour prouver l'innocence de leurs clients, mais il est si difficile de prouver l’évidence! Me Rodier montra que la fortune de Jausion le mettait ã l'abri de tout attentat contre une victime criblée de dettes mais il s'enlisa dans un bourbier de chiffres qui lassa l’auditoire. Me Combarel, qui défendait la Bancal, eut une formule heureuse pour définir Mme Manzon que le président avait présentée comme un ange envoyé par la Providence pour éclairer un grand mystère : « L'inestimable Manzon, dit-il, est l'ange des ténèbres qui promettait la lumière pour nous laisser dans une nuit profonde ».  Me Grandet, avocat de Missonnier, déploya de grands efforts pour prouver, citations de Tacite  et du Pentateuque à l’appui, que son client était un  imbécile. Il en conclut que Bastide et Jausion n’avaient que faire d'un pareil fardeau dans leur entreprise, ce qui provoqua les éclats de rire de l’intéressé. Le grand plaidoyer tomba le 5 septembre de la bouche de Me Romiguière, avocat de Bastide. Dans un prétoire fasciné, il parla sept heures durant dans une langue qui donnait enfin de la hauteur aux débats. Sous le feu de son talent oratoire, l'édifice planté sur le roc de la crédulité publique allait s'effondrer pièce par pièce.

Après un exorde où le public ruthénois, habilement flatté, se voyait lui-même impliqué dans cette triste affaire à travers l’évocation d'un faisceau de calomnies qui n'épargnait personne, Me Romiguière parla successive ment du prévenu, de la victime et des circonstances du crime. Qui était Bastide? L'inébranlable ami de Fualdès, son confident, son filleul jamais renié. L'infortunée victime, qui connaissait si bien le cœur humain, pouvait-elle s'être trompée au point d'avoir aimé pareil scélérat comme un fils ? Quel intérêt pouvait avoir armé le bras du prévenu? Sa fortune le mettait au-dessus de cette soif d'or qui conduit aux dernières extrémités. Qu'aurait-il pu voler? Jausion a fort bien montré que les valeurs de Fualdès étaient grevées de dettes. Et l’assassinat? Quand bien même Bastide serait ce monstre stigmatisé par ses ennemis, n'aurait-il pas eu mille autres moyens d'ôter la vie à sa victime sans recourir imprudemment à un si grand nombre de sicaires qui déclarent ne pas même le connaître?

Alors Me Romiguière fit planer sur le prétoire l'ombre sanglante du défunt et suggéra du bout des lèvres la thèse d'un crime crapuleux commis à la faveur d'une escapade sentimentale : « Fualdès sortit ã huit heures, sans dire où il allait, sans suite, sans lanterne, après s'être muni d'un sac d'argent. Il ne portait rien pour régler une négociation. Peut-être sortait-il pour un de ces actes de charité qui lui étaient familiers ; peut-être... ›› L'auditoire frémit, le visage de Didier Fualdès se crispa. Il était sacrilège d'attenter aux mânes de la victime.

Me Romiguière le savait : « Tirons le voile, mais reconnaissons que l'assassinat de cet infortuné magistrat fut un crime obscur, commis dans l'unique intention de voler un sac d'argent, un crime étranger à Bastide. ››


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