Emmanuel Carrère, après Céline et Perec…
D’aucuns avaient vu en Limonov, dernier roman-portrait d’Emmanuel Carrère consacré au zizanique écrivain-tribun russe, le lauréat idéal du Goncourt de cette année. Or l’attribution du Prix Renaudot à ce livre, certainement moins « grand public » que celui du lauréat du Goncourt, et publié à une enseigne moins influente, n’a rien d’infamant et confirme, après maints autres exemples, la vocation du deuxième grand prix de l’automne littéraire français à marquer la différence entre ce qu’on pourrait dire le « régulier », ce que les Anglo-Saxons appellent le « mainstream », et le plus « irrégulier ». C’est ainsi qu’en 1932, le génial Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, auquel on ne comparera pas le roman de Carrère, fut écarté du Goncourt mais gratifié du Renaudot, de même qu’en 1963 Le procès-Verbal de Le Clézio et, en 1965 les choses de Georges Perec, marquèrent l’histoire de ce porix qui n’a rien « de consolation ».
Auteur en constante évolution, achoppant à la réalité brute avec une implication personnelle singulière, comme on l’a vu déjà dans L’Adversaire, ou de manière plus « faniliale » dans Un roman russe, Emmanuel Carrère, fils mal coiffé d’académicienne impeccable, poursuit une investigation passionnante, avec Limonov, dans les marges du « littérairement correct » qui l’ont déjà vu sonder les eaux troubles de Philip K. Dick…
Bon pour le Renaudot !
Emmanuel Carrère. Limonov. P.O.L., 496p.