Bref, t’étais son amant. Pourquoi tu ne le dis pas plus simplement ? Et puis, excuse-moi, amour libre, tu parles ! Quand on quitte quelqu’un pour y rester attaché jusqu’à sa mort, j’appelle plutôt ça de la prison. Ton renoncement, je n’y crois guère.
Excuse-moi, David, mais tu te berces de belles paroles. Tu veux que je te dise, tu te mets le doigt dans l’œil. Ta Ninon, on la connaît. Elle portait d’ailleurs très bien son nom. Celle qui ne disait ni oui ni non. L’éternelle indécise, la dilettante par définition, aussi bien en amour qu’à ses affaires.
Je ne te veux pas te faire mal, mon petit David, mais qu’est-ce que tu fous là, encore à témoigner sur elle ? La larme à l’œil et le ventre noué. C’est ça ta vie, toi, le photographe ? Tu ne cesses d’avoir le regard tourné en arrière ? Tu me diras, elle est morte aujourd’hui, ta Ninon. Et toi aussi, d’ailleurs…
Qu’est-ce que j’ai donc à m’énerver contre ta nostalgie ? Qu’est-ce que j’ai à me mêler de vos vies ? Et à vouloir, moi aussi, écrire votre histoire… Comme tant d’autres déjà vous l’ont déjà volée.
Tu n’as jamais voulu appartenir à un mythe que les autres ressassent encore et encore après ta disparition. Eh ouais, vieux, faut que je te prévienne ! Excuse-moi encore, mais ça va tanguer dans ta tombe, mais ton histoire, sache qu’elle est malaxée et recrachée par n’importe qui. L’un des derniers en date, c’est un mec qui écrit pour le Figaro. Oui, je sais, ça commence mal… et ça continue…pire. Accroche-toi. Il t’a transformé en une sorte d’amoureux français, naïf, romantique, aux faux airs Stendhalien et j’avoue un peu niais… Autrement dit : lui !
Yes, vieux, il faut que tu le saches, on t’emprunte tes habits pour se glisser dans la fiction et en profiter pour approcher d’un peu plus près de l’insaisissable, la belle Ninon. Les prétendants, les emmerdeurs, s’infiltrent jusque dans votre postérité. Le pire, c’est que tout est vrai. C’est ultra-documenté, les anecdotes sont vos anecdotes, les paroles prononcées sont les vôtres. Et tout est faux…sur toute la ligne. Ok, le subterfuge est révélé et tu apparais discrètement, toi, le vrai Dave à la fin du roman. Mais, trop tard, le mal est fait.
Je suis d’accord, moi aussi, ça m’a pas mal énervé. Il fallait que je te le dise. Comment il s’appelle le bouquin ? L’œil du silence… Oui, il aurait mieux fait de se taire, celui-là !
Mais, au fait qui suis-je pour te parler ainsi ? Euh, j’ai oublié de me présenter. Je m’appelle…