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Fais ce que dois
Légèrement en retrait derrière son épouse, mais non moins digne de notre fidèle attention, Papi Poubelles n’a besoin de personne pour l’aider à prendre sa place parmi notre grande famille de voisins. Tout aussi tannant que sa femme, son style est toutefois bien différent. Si Mamie Poubelles nous offre une performance en continu, lui, vient plutôt puncher avec des petites répliques choc, entrecoupées de longues périodes de silence. Papi Poubelles est un acteur de soutien avec un excellent sens du timing. C’est comme s’il avait convenu avec lui-même qu’en tant que doyen de la rue, il avait bien le droit d’écoeurer tout le monde une petite fois de temps en temps.
Chez nous, ça se traduit entre autres par des commentaires répétés sur notre emploi du temps. Papi Poubelles a beau savoir que nous sommes comédiens et donc, que le neuf à cinq est un concept qui ne s’applique pas à nos vies, nous voir avec un café sur le balcon à 10 heures du matin en pleine semaine, le fatigue énormément. C’est plus fort que lui, s’il ne le sort pas de son système, il passe une mauvaise journée: « Ça travaille jamais ce monde-là! » Ce à quoi on répond en levant notre café et en riant poliment de son insulte.
Même chose s’il m’aperçoit en train de suer dans le potager, alors que Francis a le malheur de prendre une petite pause cigarette-iphone: « C’est toujours elle qui travaille, coudonc! J’te dis! Y’en a qui sont ben! » Bon OK, ça, ça m’arrange un peu, mais en gros, on comprend que pour Papi Poubelles, c’est le travail qui compte. On ne peut d’ailleurs pas lui reprocher d’être inconséquent, il est lui-même très travaillant. Chaque fois qu’on le voit, c’est le weed eater à la main. Il tond tout ce qui dépasse. Tout! C’est le règne du béton. Et croyez-en ma parole, il entretient son paysage lunaire avec un sens du devoir très aiguisé.
Comme je l’ai déjà mentionné avant la naissance de ces chroniques, Papi Poubelles nous a un jour offert de nous passer au weed eater – je veux dire, de passer nos mauvaises herbes sous son impétueux ciseau. D’abord charmé par cette délicate attention, nous avons innocemment accepté l’offre sans deviner le piège où nous venions de mettre le pied. Depuis cette monumentale erreur de jugement, c’est sans prévenir que Papi entre chez nous aux deux semaines, à l’aube et rase frénétiquement tout ce qui se trouve sur son passage. Tout, incluant ce que personnellement, je considère plus comme des fleurs des champs que des mauvaises herbes. La situation est d’ailleurs à ce jour toujours hors de contrôle et je ne vois que l’arrivée de la neige comme solution provisoire. Évidemment, je pourrais lui en parler, mais allez savoir pourquoi, quand j’essaie, tout ce qui sort c’est un minable: « Sentez-vous pas obligé, là! »
Bien sûr, ce qui s’applique aux autres, est aussi bon pour lui: il n’est pas méchant. PERSONNE n’est méchant ici. Si seulement ils l’étaient, tous. Ce serait moins gênant d’être en train d’écrire un blogue dans leur dos. Mais non. Tout le monde est bien intentionné. Tout le monde veut juste nous aider, tout le temps. C’est à croire qu’on a l’air débiles. Des amateurs de la propriété, je sais pas.
Des fois je me dis que c’est peut-être notre initiation. Bientôt, tout le monde va lâcher son personnage et va crier: « Surprise! C’était une joke! Bienvenue dans le quartier! » Mais on dirait que j’en doute. Ils sont bien réels. Ils sont plus vrais que nature et tout comme nous, ils sont là pour rester.
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