Magazine Nouvelles

Debout Zarathoustra !

Publié le 06 novembre 2011 par Sebastienjunca

Inutile de se le cacher davantage. Ce surhomme, cet homme supérieur, libre, fort, rétif pour ne pas dire opposé à toute forme de joug ou de dictat de la part de ses congénères ; cet homme volontairement sans famille idéologique, religieuse, sociale ou politique ; cet apatride, ce juif errant, cet asocial, cet iconoclaste, ce déicide, cet amoral mais sans être immoral ; cet amateur de pleines lunes, de nuits étoilées, de soleils brûlants, de tempêtes, de cyclones, de tonner, de torrents, de raz-de-marée, d’apocalypses de toutes sortes, de chambardements, de bouleversements, de forces brutes, de chevaux échappés ; de mers démontées, de terres éventrées et retournées sous la puissance du feu, de ciels embrasés, de magmas déversés et de grondements sourds, de cris et de fureur, de saines colères et de brûlantes passions... ce créateur de chaque instant, au regard clair, dur et froid comme l’acier mais fondu dans la plus puissante forge tellurique... cet homme rempli d’allégresse et d’ivresse quand son cœur bat à l’unisson des pulsations du monde. Cet homme vivant au seul rythme de son intuition sans laquelle il n’est pas de création possible. Cet homme nu, dépouillé de toute histoire, de toute mémoire et dont le seul esprit est une caverne tour à tour inondée et délaissée par le flux et le reflux de la vie. Cet homme, « [...] le plus exubérant, le plus débordant de vie, celui qui dit le plus grand oui au monde [1], [...] » c’est lui, l’antéchrist nietzschéen.

Ce porteur de lumière au sein de la plus épaisse obscurité. Quand tous les hommes n’ont de cesse de se battre et de lutter corps et âme contre la vie ; contre ce fleuve puissant au sein duquel ils s’agitent toute leur existence. Croyant ainsi œuvrer pour leur bonheur alors qu’ils épuisent les seules forces qui pourraient justement les hisser sur les cimes les plus hautes de la vie et de la conscience ; le surhomme lui les dépasse tous, nageant dans le sens du courant, évitant chaque rocher, chaque bois mort, chaque cadavre... Le regard toujours porté loin devant, vers le Grand Océan. Le surhomme se situe au-delà de toutes les formes d’expédients qui viseraient à le protéger, à conjurer la peur. Car il est au-delà de la peur et de ses tentacules. Il dit oui au destin, à la vie, aux forces qui le traversent et le renversent parfois, pourvu qu’elles soient forces de vie. Comme le dit encore Michel Onfray, « [...] devenir ce que l’on est, c’est vouloir le vouloir qui nous veut, comprendre qu’il n’existe de liberté que dans la nécessité, qu’il n’y a de choix possible que dans l’acceptation de l’évidence [2] ». Aussi, s’abandonner joyeusement à la vie, consentir, renoncer à vouloir domestiquer l’indomptable. Les eaux retenues deviennent vite saumâtres. Les corps enchaînés et les forces contenues deviennent vite malades, fragiles, anémiées et gangrénées... putréfiées.

Mais nous ne pourrons pas sortir du bourbier dans lequel nous nous enlisons chaque jour un peu plus si nous ne nous allégeons pas de tous ces vieux et lourds bagages du passé qui nous entravent et nous enfoncent chaque jour davantage. Il faut ruer dans les brancards, larguer les amarres, lâcher les chevaux et jeter par-dessus bord tout ce qui est inutile et freine notre progression vers de nouvelles aurores. Arracher et piétiner toutes nos vieilles idées mortifères avant que de nous élancer. Nous défaire de ces liens et de tous ces carcans deux fois millénaires.

Les seuls « Elus » seront ceux qui auront su se débarrasser de l’ancien monde et de ses vieilles valeurs comme d’une peau morte. Mais toute mue a besoin d’éléments extérieurs pour pouvoir s’opérer. Le serpent s’aide de la ronce pour s’extirper de sa peau morte.

Les partisans de toute forme d’association politique, civile, religieuse ou philosophique mettent toujours en avant l’argument selon lequel l’union fait la force. Hors, cet adage n’a de valeur que sur le plan physique. Autrement dit le plus grossier. Mais jamais au sens moral. Bien au contraire, hors le physique, toute union participe d’un amoindrissement des parties. D’une forme de sacrifice de chacun à l’endroit du tout qui était censé en être le prolongement. Alors qu’il ne s’avère être qu’un instrument de pouvoir, d’asservissement au service de ceux-là seuls qui ont su se faire désigner comme guides, représentants ou chefs de la meute.

S’unir c’est se réduire. En physique, l’union d’un proton et d’un neutron leur fait perdre de l’énergie (sous forme de photon) qui vient grossir l’entropie sacrifiée sur l’autel de la stabilité, de l’immobilisme et de la neutralité (au sens de la neutralisation de la vie et de sa puissance créatrice). S’unir c’est consentir au pouvoir et aux idées du groupe ; c’est renoncer en partie à soi ; se désavouer, se renier, se neutraliser... « Les forts aspirent à se séparer comme les faibles à s’unir [3]. »

Croyant ainsi être portés et renforcés par les masses et le nombre, ces derniers n’ont en réalité de cesse de nous absorber, de nous dépouiller, de nous fragiliser et de nous soumettre chaque jour un peu plus en faisant fi de nos idéaux lors que nous pensions qu’ils en seraient les dignes représentants et les ardents défenseurs.

Être à soi-même sa propre norme. Se faire « centre du monde ». Non pas centre vers lequel tout se doit de converger. Mais se faire au contraire un foyer depuis lequel toutes les sensations doivent irradier comme autant de muscles et de nerfs jetés sur la matière comme des filets. Cela pour s’agréger la matière du monde. La convertir et en faire autant que possible le prolongement de son propre corps. Communication et contamination de la sensation et de la conscience. Tel est l’enjeu. Tel est l’usage du je. Foyer infectieux de sensations comme d’une saine maladie.

S’agréger non seulement la matière du monde pour s’octroyer des dimensions et des sensations cosmiques. Mais s’agréger autrui comme lieu de résonance de sa propre raison. Non pas se l’approprier et se l’assujettir par la force physique, ni même par celle de la persuasion, de la compassion ou de l’amour... mais se l’adjoindre par une libre et sincère participation à un être supérieur. Symbiose, collaboration, échange au service d’un égoïsme supérieur, c'est-à-dire participatif : construction et élévation de soi dans le respect, la droiture, la réciprocité et l’amitié à l’endroit d’autrui. Reconnaître en l’autre cette portion de soi, ce prolongement. Trouver dans la différence la possibilité d’enrichir sa propre singularité... en définitive, aller vers l’autre pour se trouver soi-même et non pas pour se fuir.

Dès lors, quel modèle de société pourrions-nous imaginer se construire à partir de ces individus a priori exceptionnels ? Aucune à n’en pas douter. Car ces surhumains seraient naturellement plus des bergers que des brebis ; des inspirateurs. Des êtres devenus supérieurs à l’image de demi-dieux, mais qui ne seraient jamais là pour exercer un quelconque gouvernement à l’endroit des autres hommes. Bien au contraire, ils ne seraient là que pour nous inspirer et encourager chacun à trouver en soi et faire éclore sa propre singularité, sa surhumanité. Faire en sorte que chaque homme découvre en lui sa divinité. Si les premières sociétés humaines se sont tout d’abord construites sur la base de la nécessité vitale, celles à venir se feront à partir de la libre association, de l’élection, de l’attirance, du goût pour l’autre sans qu’il soit jamais motivé par un quelconque dégoût de soi. Mais au contraire comme participant d’un excès d’égoïsme et d’amour à l’endroit de la vie. Comme une surabondance d’amour de soi se déversant sur autrui.

L’uniformisation économique, politique, sociale et religieuse qui guette nos civilisations ne sera sans doute pas définitive. De nouvelles concentrations de forces, d’attractions, occasionneront de nouvelles associations.

C’est quand nous aurons éradiqué toute forme de peur que la société nouvelle sera à même de se construire. Car c’est bien en réaction à la peur de l’autre, de l’inconnu, du vide, du néant, de la vie, de l’avenir ou tout simplement du lendemain que se sont édifiés les premiers groupes humains. C’est sur le principe de la nécessité vitale que les hommes se sont regroupés pour se « tenir chaud ». Une fois la peur du néant tuée, ainsi que celle de Dieu ; une fois donné l’acquiescement à la vie ; alors un élan, une énergie nouvelle commencera de contaminer le monde. Non plus protection des uns vis-à-vis des autres, du monde, de la mort, du hasard, du chaos ; mais participation consciente et volontaire à la vie et à la création sous toutes ses formes. Accepter, adopter, s’abandonner, se laisser pénétrer, consentir et sentir cette force originelle nous inonder et nous utiliser à seule fin de créer de toutes les façons possibles pour lutter contre toutes les formes de mort et de néant.

Non pas s’agglomérer et s’agglutiner dans le vain espoir d’être plus forts, mais se communiquer les uns aux autres toutes les formes d’énergies individuelles en excès pour s’accélérer et relancer les individualités vers de plus hauts sommets.

Sébastien Junca.



[1]    Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, Garnier-Flammarion, 2000, § 56, p. 107.

[2]    Michel Onfray, La Sagesse tragique, le livre de poche, 2006, p. 127.

[3]    Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, Idées Gallimard, p. 206.


Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazines