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Littérature : un art bien figé…

Publié le 06 novembre 2011 par Paumadou

J’ai une formation d’historienne de l’art. J’ai une pratique artistique également. Et je me désespère souvent de voir que les gens ne comprennent pas la portée de ce qu’est « l’art », reléguant la littérature à un sous-artisanat, tout en encensant les auteurs comme des dieux (plus encore que les vrais artistes contemporains… Découvrez un peu Cyprien Gayard en ce moment à Beaubourg, vous verrez qu’on peut avoir de l’art contemporain à message et accessible !).

Littérature : un art bien figé…
L’art n’est pas quelque chose de « joli ». On ne fait pas de l’art pour décorer les murs, meubler une scène de danse ou plaire aux oreilles des spectateurs. L’art est un moyen de montrer le monde au grand public d’une manière esthétique à travers l’oeil critique de l’artiste, c’est un message avant tout. Si vous n’acceptez pas cette définition, tant pis, je ne vais pas remettre en question cela parce que vous voulez absolument que l’aquarelle de Mamyvette dans la catégorie « Art ». Je ne parle ici que ce qui est et restera de l’art aux yeux du monde entier.

Or, je ne peux que constater qu’il y a en littérature (qui est considérée comme un art) un blocage. Généralement, l’art est constitué d’une avant-garde qui oriente les regards et les recherches des artistes. On peut évoquer Matisse, Braque et Picasso au début du siècle dernier. On peut également évoquer Maeterlinck, Zola, Balzac, Hugo, Huysmans, Mallarmé, Apollinaire pour ce qui est des auteurs qui ont fait de la littérature un art.

Recherche,  tâtonnement, expérience, évolution également : un artiste doit avoir une pratique qui évolue. Personne ne remettra jamais en doute le statut d’artiste de Picasso, et pour confondre les époques de Picasso entre elle, c’est extrêmement dur : son style n’a jamais cessé d’évoluer, de changer parfois du tout au tout.

Maeterlinck faisait du symbolisme… et finit par écrire une Vie des abeilles parfaitement rigoureuse : aboutissement de ses recherches symbolistes qui devinrent extrêmes au point d’en revenir au réalisme, fermant la boucle commencée par Huysmans avec A rebours qui marque la transition entre le naturalisme et le symbolisme.
Zola avait une Grande Oeuvre, un but : fixer la société du second empire comme un peintre aurait pu le faire.
Hugo s’est engagé politiquement par ses écrits et ses thèmes.
Apollinaire cherchait l’esthétique de la forme du texte à travers ses calligrammes.

Que fait la littérature d’aujourd’hui ?

L’avant-garde, celle qui guide, tire, servira d’exemple pour plus tard, où est-elle ?

Elle n’est pas dans les rayonnages. Oui, il y a vingt ans peut-être, elle y était encore… Mais maintenant ?

Qu’on encense un auteur parce qu’il fait des textes qui émeuvent facilement, qui ne choquent pas vraiment, mais abordent des sujets graves (oui, bon le suicide, le divorce, l’adultère… où sont les sujets comme : la pauvreté, les nouvelles castes, la politique… dans les romans ? Oublions, les romans c’est pas fait pour ça – Hugo se retournerait dans sa tombe – et les essais politiques ne sont pas de l’art non plus… puisque l’art doit avoir un point de vue esthétique caractérisé)

L’art en littérature aujourd’hui, il est où ? Depuis que les éditeurs formatent à outrance, ne tentent plus rien qui ne soit calibré selon leur critères commerciaux ? L’art s’est déplacé des libraires, des éditeurs vers les nouvelles technologies : l’art en littérature, ou du moins la recherche artistique, n’est plus dans le papier trop commercial, trop formaté. Elle est dans les nouvelles technologies.

J’ai souvent évoqué la mutation peinture>photo, la photo ayant éliminé les mauvais peintres qui alignaient de mauvais portraits et des biches en sous-bois. Les artistes eux sont restés. La photo a découvert d’autres artistes, d’autres pratiques aussi. Les artistes d’avant-garde se servent toujours de nouveaux moyens de création : ils s’en saisissent, se les approprient et en font un nouvel art.

La mutation papier/numérique est très semblable à la mutation peinture/photo (bien plus que l’habituelle comparaison CD/MP3) :

La photo est arrivée à un moment où la peinture était régie par les professeurs titulaires des beaux-arts. Même si certains étaient de bons artistes (je pense à Ingres ou Moreau) la plupart était dans un modèle stéréotypé de beauté classique : tout ce qui sortait de l’héritage d’Ingres et de la Grrrrrande Peinture Frrrrançaise (et allez, Renaissance italienne aussi u peu de loin) étaient indignes d’intérêt.

Résultat ?

L’avant garde est partie du flou photographique pour créer l’impressionnisme, puis se fut les aplats de couleurs purs, véritable négation du modelé et des nuances délicates du classicisme, avec les fauvistes, la peinture se fit même sculpture avec le cubisme… Les artistes ont brisés les codes comme ils ont pu : cessant de se tourner vers les « institutions » figées et commercialement valable (oui, les peintures du 19ème se vendaient très bien aux bons bourgeois sédentaires) pour essayer de faire autrement et surtout… de créer de la nouveauté !

Voilà la mutation qui est en train de se faire. On se trompe de comparaison peut-être aussi parce qu’on ne veut pas la voir : la plus grande révolution du 19ème siècle, d’un point de vue artistique, ce fut la photographie, art finalement très accessible à tous pour un peu qu’on sache se servir d’un appareil photo. Révolution parce qu’elle a fait des portraitistes-artisans-peintres bien besogneux (ceux qui vendaient leurs portraits aux bons bourgeois) des êtres inutiles puis que n’importe qui avec un appareil photo pouvait devenir portraitistes.
Seuls les vrais artistes sont restés et ont survécus en peinture.

Voilà ce que devrait craindre (enfin, non ce que craignent déjà les grands éditeurs qui font la littérature) : l’apparition du numérique rend n’importe qui « auteur potentiel », réduisant les auteurs-artisans des éditeurs à une concurrence qu’ils trouvent déloyale, mais qui n’est qu’une concurrence comme une autre. Voilà l’avenir (attention, là je joue ma prophétesse, appelez-moi Cassandre si vous voulez) : le numérique sera la grande révolution littéraire du 21ème siècle.
Il va concurrencer les mauvais auteurs papiers. On sait déjà que Harlequin finira par ne plus vendre que des ebooks un jour, c’est inévitable (et ils le savent déjà vu l’investissement qu’ils font dans le numérique), les mauvais polars sans doute aussi, de mêmes que la fantasy bas de gamme. Pourquoi ? Parce que la concurrence apparaîtra et sera moins cher, plus facile, plus abordable et que pour ça, on n’a pas besoin de payer un peintre si on peut avoir une photo nettement moins chère et parfois de meilleure qualité !

En parallèle, se développera (se développe déjà d’ailleurs) une pratique artistique utilisant le numérique pour tester, créer, découvrir des voies, se tromper, ouvrir des courants… Les auteurs-artistes sont confrontés à un mur de papier ? Et bien, ils iront chercher ailleurs le moyen technique de leur création. Le numérique ouvre tellement de possibilité que le renouveau artistique sera possible en littérature et que pourra naître une nouvelle avant-garde. Vous verrez, l’histoire est un éternel recommencement : et quand l’art arrive à bout de souffle, il finit toujours par le retrouver d’une manière ou d’une autre.

Au final : le papier retrouva ses artistes, les vrais, et redeviendra littérature. Pourquoi donc avoir peur ? La littérature ne mourra pas, la mort sera juste celle d’une certaine idée figée et décadente de cette dernière…


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