Depuis une cinquantaine d’années que les vins californiens se sont écartés de la production de masse pour prendre le virage de la qualité, la France est naturellement prise en modèle — et d’un certain point de vue, en ligne de mire. En effet, pour s’acheter une bonne réputation rapidement, les producteurs californiens ont fait le choix stratégique de promouvoir des cépages aux consonnances bien françaises, synonymes de qualité, plutôt que de mettre en avant leurs terroirs. Les principales variétés désormais cultivées en Californie sont le Chardonnay, le Pinot Noir (ne prononcez pas le « R »), le Merlot et le Cabernet Sauvignon. La qualité des sols, du climat et du marketing ont fait le reste pour hisser le « made in California » dans les grands vins de classe mondiale.
Ainsi en 1976, dans une dégustation aveugle réunissant à Paris des oeunologues français reconnus, le Stag’s Leap et Château Montelena californiens remportaient pour la première fois la place d’honneur dans les catégories rouge et blanc, respectivement devant les français Mouton-Rothschild et Meursault Charmes Roulot. Immortalisé comme le Jugement de Paris, ce concours historique reste marqué comme la reconnaissance de la défaite des vins français par ses propres juges, et n’a pas manqué d’être continuellement exploité depuis lors.
Mais le succès commercial californien construit sur le Jugement de Paris recèle un poison pas moins français, dont les producteurs américains aimeraient aujourd’hui se débarrasser. Car les choses changent vite en Californie, et en particulier le climat, auquel la vigne est plus sensible que toute autre végétal. Une récente étude de l’Université de Stanford montre en effet que les variétés françaises cultivées en Californie pourraient bien ne pas supporter l’augmentation moyenne des températures estimée à deux degrés dans la région d’ici à 2040, réduisant de 30 à 50% la surface du vignoble californien.
Pour s’adapter, les producteurs californiens devraient adopter des cépages plus méditerranéens, comme le Negroamaro ou Nero d’Avola italien. L’ennui c’est qu’ayant investi toute leur réputation sur l’étiquette « Cabernet Sauvignon » plutôt que « Chateau ceci » et « Château cela », il leur en coûterait un nouveau Jugement de Paris et quelques milliards de dépenses marketing pour imposer le « Nero d’Avola » aux consommateurs américains. Peu enclin à prendre des risques en matière de vin (wine is status!), ces derniers pourraient bien se retourner vers un familier Cabernet Sauvignon made in France, comme on leur a si bien appris à reconnaître un bon cépage !
Douce revanche.
*après la France, l’Italie et l’Espagne