J'ai entendu à la radio il y a quelques jours un commentateur politique, ou un sociologue je ne me souviens plus, déclarer péremptoirement que le mouvement des Indignés était "un symptôme pas une solution".
Voire. Certes ce mouvement, initié en Espagne et qui depuis s'étend dans plusieurs pays occidentaux, ne rentre pas dans les catégories politiques classiques. Ce n'est pas un parti - une organisation politique dont les membres mènent une action commune pour faire triompher une idéologie ; ce n'est pas un syndicat - association qui a pour objet la défense d'intérêts professionnels ; encore moins un club ou un cercle - un groupement fermé constitué d'un petit nombre de personnes rassemblées pour partager des activités communes : le mouvement affirme, à l'encontre des entreprises transnationales identifiées comme responsables de l'état inique du monde : "nous sommes 99%, vous êtes 1%". C'est donc l'inverse d'un club : ce n'est pas le 1% qui est réuni mais le 99% : les manifestants et ceux, les populations du monde qui se reconnaissent en eux, qui subissent dans leur vie de travail l'injustice engendrée par les grandes sociétés transnationales qui mènent le monde au seul profit de leurs intérêts capitalistiques.
Les manifestants, qui campent dans des lieux symboliques du capitalisme financier, Wall Street à New-York, la City de Londres, le parvis de la Défense à Paris etc., ne défendent pas une idéologie. Ils "campent" sur une unique position : contre l'emprise du capitalisme financier mondial. "Rome est dans notre camp, et notre camp dans Rome" [Corneille, Horace].
Ils ne prennent pas le contre-pied du modèle capitaliste. Pour celui qui le copie et pour celui qui prend le contre-pied, le modèle est toujours le modèle. Ils veulent un monde autre. Nous ne retrouverons pas un monde autre comme un monde à l'envers : le verso du recto est du même ordre que le recto.
Ce que veulent les manifestants en fédérant le plus de forces vives dans chacun des pays qui hébergent les centres de décision de ces grandes, multiples et finalement insaisissables transnationales, c'est, à défaut d'autres actions, puisque le système des possédants des pouvoirs capitalistiques [système qu'ils désignent par Système avec un grand S] qui mènent le monde est global, opaque, diffus, semblable aux sept têtes de l'hydre sans cesse repoussant, c'est : bloquer le Système. Et, le bloquant, favoriser l'émergence d'un autre système qui repartira sur d'autres bases.
Cette attitude, comme l'analyse une très intéressante étude que m'a communiquée mon ami Jean-Pierre Bombled, peut être qualifiée, en sciences des systèmes, de parfaitement scientifique. Je cite : "Un système complexe évolue de façon dite chaotique, c'est-à-dire imprévisible et par définition, non gouvernable. Il est loisible de postuler que si pour une raison ou une autre, il s'enferre dans une voie sans issue, il se transformera et pourra donner naissance à un autre système. Il existe un certain nombre de probabilités pour que ce nouveau système, s'il réussit à s'imposer, soit tout à fait différent. En tous cas, par définition, il sera mieux adapté aux circonstances ayant provoqué le blocage du système précédent".
L'auteur de l'article illustre de façon éclairante son propos en évoquant la situation des petits mammifères qui ont eu à faire, à la fin du crétacé, avec les derniers dinosaures. Ils auraient été bien incapables de prévoir comment et par qui ce "système des dinosaures" aurait pu être remplacé. "Les idées qu'ils auraient pu avoir à ce sujet auraient été sans doute impuissantes à leur offrir une solution aussi ouverte que celle ayant résulté de l'évolution aveugle des déterminismes géologiques et biologiques".
La conclusion : "Il est donc logique que, pour les humains d'aujourd'hui, la première chose à faire pour s'opposer au Système dont ils perçoivent le poids oppressif soit de le bloquer, dans les faits ou même symboliquement. Ils peuvent espérer, d'une façon apparemment naïve mais finalement assez fondée scientifiquement, qu'à la suite de ce blocage les composantes du Système s'auto-réorganiseront, leur offrant des niches vitales plus riches de perspectives".
Le mouvement des Indignés pourrait bien ainsi paraître, plus qu'un symptôme [du mot grec sumptôma "accident"] une solution [du verbe latin solvere "délier, détacher"].
Jean-Paul Basquiat De nouvelles armes dans la lutte contre le Système
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/122/zurich.htm
Voyez-vous [...] dans la vie il y a des forces en marche : il faut les créer et les solutions suivent.
Saint-Exupéry, Vol de nuit