Si je voulais montrer le cœur de Paris à un touriste de passage, je l’emmènerais peut-être métro Couronnes, entre Belleville et Ménilmontant, pour descendre ensemble la rue Jean-Pierre Timbaud.
On y verrait des terrasses bondées de blancs très divers entre deux librairies arabes, je lui ferais sentir l’odeur de la shisha, on croiserait dans la rue des fêtards en route vers Oberkampf et des cousins palabrant devant une supérette. Un peu plus loin, les gars d’une revue branchée se réuniraient autour d’une platine vinyle en face d’un bar promettant la diffusion d’un match amical Algérie-Tunisie.
Au coin de la rue Saint-Maur, marchant vers le nord, nous croiserions peut-être Hakim. En tout cas, on l’aurait croisé hier.
Hakim est un de nos anciens élèves des cours d’alphabétisation. Pas le plus doué mais assurément le plus pointilleux d’entre eux – le seul qui n’osait pas lancer son stylo sur la feuille avant d’être sûr d’avoir la bonne réponse. Il se lançait rarement.
Hakim qui parle un français encore hésitant et qui émaille ses phrases de "c’est à dire" et de "tu comprends ?" Hakim le kabyle qui est allé à l’école en Algérie jusqu’à la deuxième année, Hakim l’émigré arrivé en France il y a douze ans, désormais régularisé. Hakim le couvreur qui ne touche plus le chômage depuis un an mais qui refuse toujours les propositions de boulot mal payé – tu comprends, il y a vraiment des gens qui profitent. En attendant de retrouver la proposition qui correspondra à son expérience, il fait quelques missions d’intérim, et se demande s’il ne va pas se tourner vers la restauration. Mais la crise, tout ça – c’est-à-dire, vous voyez, cette année c’est difficile, plus encore que l’année avant, etc.
Et ça ne s’annonce guère mieux l’année prochaine…
« Eh oui, conclut Hakim. La France, c’est plus comme avant. »