Samedi 21 mars 1863, 11h50 du soir
À midi, nous débarquâmes dans la cité d’Hathor, la belle
Dendérah . Sur le rivage, nous achetâmes à un vieil homme édenté une boîte de dattes sèches et une demi-douzaine de petits fromages blancs arabes. Je croquai dans l’un d’eux, avant qu’il ne s’affaissât entièrement dans ma main, et réprimai aussitôt une grimace de dégoût. Madame Gallerini, qui raffolait de ces curieux fromages aux fines herbes, rit longtemps en me voyant lutter avec le mien. Sous un soleil brûlant, nous pénétrâmes à l’intérieur du
temple d’Hathor par une brèche qui nous mena directement dans un immense vestibule regorgeant de colonnes à chapiteaux, ornés de la tête de la déesse vache Hathor, coiffée de cornes surmontées par l’astre solaire. Madame Gallerini ne put cacher son étonnement quand je lui appris que la déesse n’était autre que la reine
Cléopâtre. Elle me supplia d’être son guide, j’acceptai.
Dans l’obscure salle hypostyle qui recelait une surprenante réserve de colonnes hathoriques aux emblématiques oreilles bovines, nous fûmes subjuguées par la déesse
Nout. Peinte au plafond, elle avalait
Râ qui traversait son corps parsemé d’étoiles pour renaître au matin. Les pieds des colonnes eux-mêmes étaient agrémentés de scénettes, où je distinguai l’enfant Râ ainsi qu’une vache se reposant sur un lotus. Après avoir traversé une suite de salles liturgiques encadrées de hauts murs, nous arrivâmes devant deux escaliers, dont l’un descendait dans les cryptes et l’autre montait vers la terrasse et les chapelles d’
Osiris, l’une d’elles ayant abrité le célèbre zodiaque circulaire baptisé
zodiacoon par les Grecs et ramené à Paris par le
général français Desaix lors de l’expédition d’Égypte menée par
Bonaparte.
L’accès aux cryptes n’étant pas totalement déblayé, nous nous dirigeâmes vers la terrasse du temple. Dans la cage d’escalier, admirablement décorée, nous bifurquâmes pour visiter une enfilade de trois chambres. Dans la première, Osiris, revenant à la vie, tentait de se lever. Dans la deuxième, il apparaissait enroulé sur lui-même tel un serpent, les pieds derrière la tête. Dans la troisième, enfin, il se redressait sur une table funéraire, tandis qu’Isis, sous la forme d’un oiseau, se posait sur son phallus pour être fécondée. Madame Gallerini rougit quand je décrivis l’union nécrophile et incestueuse des deux divinités. Néanmoins, elle ne fit aucun commentaire et se contenta de m’entraîner devant une autre fresque, fort intéressante, sur laquelle on voyait le scarabée Râ-Khépri, les ailes déployées, émerger d’Osiris étendu. La signification du lien occulte unissant Osiris à Râ restait obscure. Intriguée, je recopiai rapidement la scène sur mon cahier.
A suivre...