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La banquette des confidences

Publié le 18 novembre 2011 par Jlk

Holder.jpgÀ propos du recueil de nouvelles Embrasez-moi, d'Eric Holder

par Antonin MOERI

Dans la brève préface aux sept magnifiques nouvelles d’Eric Holder que les éditions du Dilettante viennent de publier, l’auteur nous dit que le goût d’écrire lui est venu quand, au pensionnat, la nuit, il racontait aux copains des histoires de fesses. Il voulait les faire rêver, ses copains, jusqu’à ce qu’ils se croient avec Ambre, Marine ou Garance. Ici, dans ces nouvelles, le narrateur nous tient en haleine avec des histoires que d’autres lui ont racontées. Confident très attentif, il se souviendra de certains détails et, pour le reste, déploiera allègrement son imagination. «Lorsqu’il y avait des blancs, j’ai relié les pointillés».

Sauf au début de la première nouvelle, où Youssef exhibe son chibre bleu en pleine classe («Touche, elle mord pas»), le narrateur n’est jamais le témoin oculaire des faits qu’il relate. Les moments d’embrasement passent toujours par un ou une intermédiaire. Francis lui parle de Cathy dans un boui-boui, Charles évoque Marie sur la banquette d’un train, Aurore parle de Pawel dans un bar à champagne, Laetitia chuchote le récit de ses ébats avec Virgile dans un salon du livre. Ces moments d’embrasement sont somptueux. Rien de triste ou de déprimant dans la mise en scène de ces minutes où tout bascule dans l’inconnu, quand le coeur bat trop vite, qu’on va se désagréger, que l’organe se présente inopinément avec une violence de bagarre de rue, et que le mouvement s’accélère. «Il part de ses épaules, dévale le long du dos, surélève sa croupe, avant de s’arrêter sur un volcan».

Les descriptions pourraient rappeler celles de Sade, mais sans leur monotonie. Le lecteur y sent une jubilation plutôt rabelaisienne ou henry-millerienne. L’intimité de la femme est explorée avec un empressement frénétique. Il y a de l’effarement quand les tétons s’érigent et que la pointe du dard élargit l’anneau «par degrés si discrets que lorsque, enfin, la majeure partie est entrée, à l’exception d’une nouvelle pluie d’étoiles sur son corps, Laetitia ne ressent rien de fâcheux, au contraire».

Laetitia est une femme qui, à vingt ans, épousa un ingénieur deux fois plus âgé qu’elle. Elle vit dans une villa cossue, cultive des fleurs, organise des raouts et des séances de signatures dans les salons du livre, c’est le genre de femmes qu’on serait tenté de ridiculiser, d’épingler sur une tablette en tant que représentante d’un univers détesté. Eric Holder procède différemment. Sa Laetitia Bercoff, conseillère à la culture, il nous la présente avec ses chaussures plates, sa jupe plissée, «son brushing qui nous renvoie aux années soixante». Cette dame aime fréquenter les élus locaux, des comédiens, présidents, journalistes. Mais quand un employé municipal (nommé Virgile) lui offre ses services, elle ne saurait refuser. Elle révise avec lui le code de la route et saute de joie quand il obtient son permis de conduire.

En aspirant le venin des guêpes qui ont piqué les cuisses de l’homme à tout faire, elle voit tout à coup l’anguille lever la tête. Le diamètre est impressionnant. «Elle constate qu’elle mouille - ce n’est pas tous les jours». Elle découvre l’habileté en la matière de Virgile et ses audaces qui font l’orage gronder dans sa tête. Ces transports, cette euphorie, cette torture sublime, Laetitia aura tout loisir de s’en souvenir sur la Piazza San Marco où, en compagnie de son mari, elle contemplera le célèbre dôme en sirotant un Campari.

Laetitia aura connu ces minutes au cours desquelles «les flots s’agrandissent aux dimensions d’un océan». Elle les aura connues dans les bras d’un imbécile heureux, droit dans ses bottes, prêt à cogner s’il le faut. Là encore, j’exagère, car le Virgile de Holder n’est pas exactement un imbécile, «il ne manque que d’un cheveu d’être crétin». Dans sa tête «circulent des pensées finaudes, rouées, madrées, des calculs de paysan». Je crois que c’est la leçon d’Eric Holder: on a vite fait de classer les gens. Un écrivain comme lui laisse sa chance à chacun de ses personnages. N’est-ce pas la marque du nouvelliste de valeur?

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ERIC HOLDER: Embrasez-moi, Le Dilettante, 2011

Ce texte est à paraître dans la prochaine livraison du Passe-Muraille, de décembre 2011.


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