Rhapsodie panoptique. IV.
…Là-dessus j’envoie un MMS à Tonio pour lui remonter le battant, lui qui se prend pour l’maudit de la classe et le recalé des intermittents, je lui envoie l’image, plus précisément, des battants pendus hauts et courts à trois lustres ou en train de se flinguer autour d’une table de festin, on connaît le tableau du vieux dino, on n’dira pas que c’est du Goya ni moins encore du Velasquez même si ça fait un peu fin de corrida verticale, ça pourrait s’intituler Bienvenue au conseil d’administration ou quelque chose comme ça, avec une vingtaine de banquier pendus ou flingués, j’sais pas de quand date cette croûte sublime actuellement suspendue sur une paroi du Centre Dürrenmatt de Neuchâtel, mais bon : j’en envoie la repro à Tonio avec lequel je communique volontiers, depuis quelque temps, sur la Crise et tout le toutim des Bonus et des parachutes dorés, en lui recommandant par la même occase de lire absolument 121 Curriculum vitae pour un tombeau de Pierre Lamalattie, ma découverte de ce matin, juste avant que je ne découvre, à la DER du quotidien Le Courrier, typé gauche genevoise, le texte de ma première rhapsodie intitulée Pour une Suisse sauvage en pays policé qui a pas mal botté Tonio quand je le lui ai fait lire l’autre jour via Facebook – et voilà que ça paraît pour de bon et que j’me réjouis comme un fripon de vingt ans et des poussières inaugurant son Press Book …
… Lamalattie m’a tout de suite fait penser à Tonio avec sa dégaine d’intermittent des arts vivants, comme il se présente sur son premier livre, genre vieux beau flagada aux cheveux argentés et forcément mal rasé, blouse vague et vague écharpe genre viscose, pas vraiment soigné comme un nouveau philosophe genre bourgeois bohème qui aurait une chemise noire et une écharpe fuchsia, lui Lamalattie plutôt genre vieux chien pas tout à fait commode mais on ne sait trop, les yeux aux aguets et la bouche mâle sensuel qui en a baisé d’autres, les mains aux poches du vague imper ouvert sur sa vague casaque, et là j’revois mon Tonio un jour dans la lumière de la Rue de Verneuil, quand nous avions croisé Jane Birkin, ou un autre jour dans le grand parc de Nancy où nous nous étions retrouvés pour un bout de festival, je revois mon Tonio avant Jackie, toujours sapé genre artiste, plus précisément genre jeune comédien, d’ailleurs il venait de finir Strasbourg, j’revois mon intermittent de l’amitié et de tous les plans cul ou culture, j’le revois avec la p’tite délurée des planches dont je ne me rappelle pas le nom, dans sa carrée de Belleville puant le pisse comme le médecin référent de Lamalattie, un certain Konstantinopoulos, sent « un peu la pisse » et ne consulte plus que pour voir des gens défiler – bref j’avais pas lu cinq pages de Lamalattie que j’me suis dit : ça c’est Bonus pour Tonio…
… Dès que j’ai commencé de lire 121 Curriculum vitae pour un tombeau, j’me suis dit ça y est, Bonus, j’suis chez moi, je l’sentais déjà à ce que j’en avais lu dire dans l’Nouvel Obs et L’Express, ça s’est corroboré fissa en visitant le blog du type dont la peinture genre Freud en plus crade et plus doux m’a tout de suite scotché quelque part, comme on dit dans les bars branchés, ensuite à l’ancien Café des philosophes où j’me suis lancé dans la lecture, après l’avoir trouvé chez Payot où la libraire a dû l’aller pêcher dans le fonds de stock, tout de suite j’me suis retrouvé dans la robe de chambre d’Oblomov, sur mon fauteuil de cuir vert de l’isba, tousuite j’me suis dit faut que j’alerte Tonio et l’Gitan et le Kid et Blacky et Lady L. à qui ça plaira forcément, je lisais ça et tousuite j’ai marché : « Je m’intéresse beaucoup aux humains. Ca ne veut pas dire que je les aime. Mais je ne peux pas m’empêcher de les observer. J’ai l’impression que je vais découvrir quelque chose d’important. Je crois, aussi, que cela va m’aider à mieux imaginer ma propre existence. C’est un choix de vie un peu difficile, car il n’existe pas de clubs ou de bars branchés où trouver facilement des gens avec qui partager cette passion. Mais en ce qui me concerne, il y a la peinture »…
… Or la peinture, ça oui, j’partage avec Tonio et Jackie, mais d’abord et avant tout avec Lady L. avec laquelle nous n’avons pas besoin d’écumer tous les musées pour tout aimer en même temps sans nous concerter ni faire genre connaisseurs. Je dirais bien, pour être vraiment objectif, qu’elle est plutôt Nolde, c’est-à-dire mers et jardins sous le ciel du nord, et moi plutôt Munch, c’est-à-dire chair tragique et couleurs pas loin de l’hystérie, mais l’autre dimanche on finit à la cafète du Kunsthaus de Berne après les deux expos des Suisses Biéler et Amiet, et forcément c’est sur Amiet que nous tombons d’accord, avec sa profusion de coloriste et son multimonde à l’essai de Gauguin à Matisse entre pas mal d’autres tâtons impressionnistes ou symbolistes, ou bien nous sommes au Mauritshuis de Rotterdam et là, banco, c’est tout Bonus, Lady L. et moi à genoux devant les Flamands et les Hollandais volants – et voilà qu’elle se met à peindre après moi, non mais des fois…
…Quant aux Bonus des banquiers, c’est pas que ça nous obsède, mais il faut dire ce qui est en démocrates des bois que nous sommes Tonio et moi, et Lady L. évidemment, et sûrement Blacky quelque part, – Blacky qui parle de démocratures pour les régimes africains – et le Kid et le Gitan et tutti quanti : ça nous fait gerber, et de voir ces vautours pendus aux lustres et flingués par mon cher diabétique nous console en somme même si ça reste là d’la peinture de dimanche soir après la biture, les pinceaux genre gang expressionniste shooté à la Grande Guerre ou aux lendemains d’hier d’Hiroshima, ça nous fait marrer aussi comme de voir Sarko se la jouer foudre d’ATTAC, bien sûr qu’il exagère l’vieux dino, même que c’est un artiste de l’exagération l’vieux dino, qui me rappelle le narrateur d’Extinction de Thomas Bernhard se présentant comme un artiste de l’exagération, et tousuite j’ai pensé, comme avec Houellebecq ou avec Nabe, mais avec plus d’humour fondant que l’Nabe et l’Houellebecq, que ce Lamalettie était un nouvel avatar des artistes de l’exagération dont Céline reste, au siècle des horreurs exagérées, l’insupérable champion…
… Lamalattie raconte qu’au lycée il avait la manie de dessiner des visages de chevaliers errants, et que ce qu’il a trouvé de plus proche comme métier était celui d’artiste, que sa mère lui a déconseillé au profit d’une bonne prépa Agro. Or nous en sommes tous là, enfin les sauvages qu’il y encore en nous en sont là : à défier toujours et encore Maman qui nous conseille de boire moins de thé et, pour notre chaudière, de prendre un contrat d’entretien, comme le raconte Lamalattie. L’heureux Tonio a certes sa Jackie, aussi folle que lui, et moi ma Lady L. fait avec comme on dit, préférant ma folie à l’entretien de la chaudière, et c’est comme ça qu’on vit et que c’est tout Bonus…
… Ce que j’veux dire encore ce soir c’est que l’andante du concerto n°22 de Mozart est vraiment d’une beauté déchirante, ce que j’veux dire aussi c’est que les cordes produisent des accents majestueusement mélancoliques, progressivement relayés par les amères harmonies des bois, que le récitatif du piano est cristallin, plein d’une ferme et noble contenance, qu’il exprime cette nostalgie retenue, typique de Mozart, dans laquelle la joie et la déception se mêlent, et j’veux dire enfin qu’on a l’impression que Mozart a distillé son existence pour en tirer un concentré particulièrement juste, enfin que cet andante est un condensé de vie immédiatement injectable pour être vécu à nouveau, encore et encore, Bonus contre Malus – oui c’est ce que j’aimerais te dire se soir, ma Lady L. restée en ville, et à vous Jackie et Tonio, et à toi l’Gitan, à vous Kiddy et Blacky et à mes 1836 amis-pour-la-vie de Facebook, voilà ce que je recopie mot à mot à la page 41 de 121 curriculum vitae pour un tombeau de Pierre Lamalattie, drôle de premier roman d’un drôle de peintre que je vais continuer de lire sans cesser de pianoter ces drôles de rhapsodies…