Camille

Publié le 23 novembre 2011 par Mirabelle

D'abord, en Sixième, je t'avais détestée, je te trouvais méchante et bavarde, toujours à te moquer des autres, et puis je ne sais pas, il y a eu les goûts musicaux en commun, les cours d'italien peut être, ton rire un peu hystérique, ton sourire et tes dents un peu de travers, Starmania dans ta chambre, ta soeur avec son magnétophone Fisher Price, la cassette de Boby Lapointe. Nous rentrions ensemble après le collège, après le lycée aussi, nos établissements étant voisins, on parlait, de tout, de rien, surtout de tout, je t'accompagnais jusqu'à ta porte, j'entrais, ou je repartais, mais c'était toi, avec les années j'en avais acquis la certitude. Nous étions presque voisines, proches tout en étant différentes.

Avec toi, j'avais écrit ma première lettre d'amour, postée anonynement, j'avais quatorze ans. Chez toi, j'avais pris mes quartiers, le temps qui passe permet cela, de faire presque partie de la famille. Avec toi, j'ai préparé des sandwiches au jambon pour une soirée "Cage aux folles", avant de me rendre compte, après quelques bouchées voraces, qu'il était complètement cru. Nos fous rires devant la télévision. Lors du cross du collège, c'est avec toi que j'ai discuté tout le long du parcours, en marchant, sans faire attention au reste, premières des filles à l'arrivée, quoi, déjà l'arrivée, mais je suis nulle en endurance, ce n'est pas possible. Nous avons été accusées de tricherie, un zéro pour l'épreuve, une menace d'avertissement. Nous avions en fait couru un seul tour au lieu de deux, mais bien sûr, personne ne nous a crues. J'étais effondrée. Tu t'en fichais, rigolais. Te moquais de moi gentiment.

Ensemble, nous avons écrit des histoires dont nous étions les principales protagonistes, impliquant également les garçons pour qui nous avions le béguin. Tu dessinais des bonhommes dans mon agenda. Tu m'envoyais des cartes postales à chaque vacance. Chez toi, j'ai fait des pains de thon, je t'ai regardée coudre, pleine d'admiration, j'ai câliné les chatons qui venaient de naître, j'ai observé la gerbille, j'ai fait de la balançoire. Ensemble, nous sommes allées chez le coiffeur, pour le meilleur et pour le pire, surtout pour le pire. Tu m'as emmenée en Italie, fait visiter Venise, nous avons enfourché les vélos dans la campagne, avec l'air moite qui nous collait aux vêtements et à la peau. Dans l'obscurité, tu me parlais de ta vie à Paris, du métro, aux heures tardives, j'avais peur, peur pour toi, tu riais de mon angoisse.

Un jour, nous avons découvert que mon oncle et ta tante entretenaient une relation amoureuse. Je vois encore mes parents rouler des yeux navrés, ma mère éclater de rire devant nos "élucubrations". Nous avions raison. J'étais fière et excitée. Comme si quelque chose de sacré se nouait entre nous, un lien familial. Meilleures amies plus que jamais. Ta mère avait organisé un repas avec toute la famille pour faire la connaissance de mon oncle. J'étais bien sûr conviée. J'ai le souvenir d'un grand bonheur. J'étais liée à toi. Et puis ils se sont séparés.

Tu me voulais comme témoin à ton mariage, j'avais dit non. Tu faisais fausse route. Une erreur. Et je te l'avais dit. Tu n'avais pas apprécié. Vous ne vous êtes finalement pas mariés. Tu m'as parlé de prendre avec toi un appartement en colocation, j'étais amoureuse à l'époque, pensais à lui, à moi, à notre vie. J'avais dit non. Tu n'allais pas bien. Tu ne t'es pas mariée et tu n'allais pas bien. Ta soeur m'appelait en larmes pour que je passe te voir. J'accourais. Tu ne me parlais pas.

Et puis nous nous sommes fâchées. Bêtement. Tu n'as plus voulu me parler. J'ai voulu te montrer que j'étais toujours là, même si tu m'avais blessée. Je t'ai écrit. Je t'ai téléphoné. Je suis venue te voir. Il y a eu le mariage de ta soeur, auquel j'étais invitée depuis longtemps. J'y suis allée, l'estomac noué, en priant pour que tu viennes me parler, pour une réconciliation. Tu ne m'as pas regardée. Ou tu ne m'as pas vue. Je ne sais pas. Je suis partie tout de suite après la cérémonie religieuse, le ventre tordu de chagrin, en pleurant sur le chemin du retour. Quelques jours plus tard, sur Internet, tu m'as dit que des dragées m'attendaient chez toi. J'ai repris espoir. Tu as aussitôt précisé : "Ce n'est pas spécialement pour toi, on les aurait de toute façon gardé pour quelqu'un d'autre". Je ne suis pas passée chercher les dragées.

J'en ai eu assez de te courir après. Tous tes silences, ton entêtement, le mépris que tu mettais à me parler m'avait découragée, dégoûtée, remplie d'amertume. Je t'avais poursuivie, pendant des semaines pourtant, tu étais ma meilleure amie, depuis toujours ou presque, nous ne pouvions pas couper les ponts pour si peu.  Je t'offrais ma douleur en spectacle. Tu n'avais aucune réaction. De l'indifférence. De la froideur. Un mur. C'était notre première dispute. La première depuis douze ans. Ca a été la dernière. J'avais un orgueil démesuré. Mais moins que le tien. Nous n'avons jamais eu d'explications. Jamais eu d'excuses. Nous nous sommes éloignées d'un coup sec, sans rien se dire, comme si ces années d'amitié, où je t'imaginais marraine de mes enfants, nous tenant la main dans toutes les étapes importantes de nos vie d'adulte, n'avaient pas compté.

Aujourd'hui, j'ai vingt-sept ans, bientôt vingt-huit, comme toi.  Nous sommes nées à onze jours d'écart. Je suis la plus vieille. Aujourd'hui, un homme, "le bon", m'accompagne, et de tous ceux que j'ai aimés, c'est le seul que tu n'aies pas connu. Aujourd'hui, je suis enceinte, et parfois, quand je me laisse aller, je suis un peu triste, j'aurais aimé que tu sois là, toi qui avais grandi avec moi, j'aurais aimé que tu sois là pour partager  l'émerveillement de mon ventre qui s'arrondit, pour débattre de mes idées de prénom, pour une fille tu aimais bien Agathe je me souviens,  j'aurais aimé que tu sois là pour tout cela, pour m'emmener dans les boutiques, pour te réjouir avec moi.

Tu me manques encore, parfois, quand je me caresse le ventre.