Rhapsodies panoptiques (6)
…Moi, tu l’sais Jackie, j’supporte pas les poëtes, et ça s’aggrave : plus j’aime la poésie et plus je trouve les poëtes graves, comme disent Kiddy et Blacky dans leur novlangue, plus j’kiffe la poésie et plus les postures des poëtes, j’veux dire des poëtesses et des poëtes, comme on dit les collaboratrices et les collaborateurs de notre aimée Police – plus tout ça me paraît de la pure imposture, genre j’suis la plus ou le plus pur(e), j’suis la pureté dans la multitude impure, j’suis le Verbe et l’Immaculé, j’suis l’Albatros dans l’multimonde atroce, en deux mots et en une image multipack: j’suis la Rose Bleue…
…C’est l’affreux Dürrenmatt, j’te le fais pas dire à toi qui supportes un germaniste à la Tonio, c’est l’dino bernois qu’a forgé ce concept, comme on dit aux cafètes des facultés de stylistique, c’est l’rhino des steppes alémaniaques qu’a trouvé cet emblème de la Poëtique Attitude – et là tu vises une bonne fois l’tréma vu que ça fait la différence -, et dès que j’invoque la Rose Bleue s’élève la mélopée qui t’annonce l’défilé solennel des poëtesses et des poëtes, ca va craindre mon petit Kiddy, ça va sangloter dans la procession à lentes palmes azurées, et v’là toute le smala en immobile mobilité, v’là tout ce que t’aimes aussi Jackie sans doute à tes soins palliatifs à journée faite, et c’est tout itou ce qu’aime Lady L. la fille de Batave socialo plus nature tu meurs, vous deux tellement trop près des choses pour léviter à l’unisson des poëtesses et des poëtes, mais ceusses-là défilent ce matin pour instaurer un jour le Jour de la Poësie afin que la poësie soit vécue par tous jusqu’au dernier jardinier, j’veux dire la dernière caissière de la Coopé ou le dernier plombier polonais, donc chacune et chacun ce matin sur les ondes et partout y va de sa prise de parole, comme ils disent: la Poësie est mon essentiel soupire Marie-Ange Pseudo les yeux au ciel et son frère en écriture Werner Ewald Barjo lui fait écho dans le suressentiel, et les cieux s’entrouvrent comme de grands yeux bleus soulevant leurs paupières innombrables – enfin tout l’bazar, tu vois quoi…
…Or à peine que le jour s’est levé, quand toi tu rentres à peine de ta dernière veille d’un jeune cancéreux en fin de Doulou et que Blacky m’annonce par SMS qu’il va s’faire un Parcours Santé, à peine j’ai jeté sur mon écran plasma ces premières amabilités sur la Posture Poëtique, à peine tout ça que Madame Conscience y va de son prône télépathique comme quoi je n’entends rien à la Poësie Poëtique vu que j’ai même pas de diplôme et comme quoi, quoi que j’en dise, la Poësie Poëtique est la seule chance-de-vie et la seule issue pour les Académies et les Banlieues, comme quoi je n’entrave que pouic, ça c’est moi qui signe, enfin comme quoi je d’viens insignifiant à tout exagérer ce qui signifie au fond, comme Madame Conscience aime à rappeler que c’est d’au fond qu’elle parle, que je dois être monstre jaloux des poétesses et des poëtes poëtiques qu’elle reçoit à ses matutinales Lyres Matinales…
…Moi je promets tousuite que j’resterai à l’écoute toute la sacrée journée. Moi l’écoute de l’Autre ça me branche un max mon petit Maxou, ce matin son Buddy félicite Number One pour les vingt-neuf balais qui dansent à sa porte comme dans Walt Disney, j’viens d’envoyer un texto à 29 cookies à la fille aînée de notre église dont l’prénom dit qu’elle aime la folie quand elle est philosophe - je me récite in petto « Merveille d’être au jour / Merveille des merveilles » du poète mal posturé selon mon cœur, Schlunegger le sauvage qui s’est une matinée comme ça foutu du haut du Pont de Fenil, tout à côté ou quasi, à un coup d’aile d’épervier de l’Isba, allez Madame Conscience allez-y d’vos doléances, là j’ai à faire…
…Mais là je sens que je vais encore m’énerver, Jackie, vu que j’sens que je ne vais pas pouvoir faire ce que je voudrais pour Lamalattie comme je voudrais, genre Le Bel Article dans le journal où j’suis encore mercenaire pour quelques lunaisons. Toi tu l’sais bien ce que c’est d’être empêché de bien travailler, Jackie, tu te braques d’avance avec ton caractère jurassique, tu donnes de quatre fers dès qu’un Administratif vient t'faire chier sur ton portable alors que tu t’occupes d’une ou d’un Fin-de-vie, comme ça me fait chier de savoir que j’aurai que 3000 signes rachitiques dans 24Heures pour claironner que Lamalattie c’est top santé, déjà j’râles comme un barge de dino en constatant que mon logiciel de connexion s’est planté et que j’vais devoir descendre de mon alpée à la ville urbaine, mais j’me dis aussi que je suis méga verni avec des gens comme toi et Lady L. et Lamalattie et le cher Oberli sur ses hauts à lui et l'Amstutz à Cologny-sur-Flouze - allez les barjos on s’accroche…
…D’ailleurs moi tu sais, l’appellation contrôlée BARJO AOC, j’hésite de plus en plus, et ça s’aggrave en lisant 121 curriculum vitae pour un tombeau de Pierre Lamalattie, mon Goncourt perso de cette année : j’veux dire j’vois bien qui est barjo au sens premier d’jobard et qui ne l’est pas, vu que le sens a glissé et qu’avec des lascars genre Lamalattie comme un pardon se glisse dans le décri, si tu vois c’que je veux dire – j’entends que la critique aquatique genre Philémon ou le Kritiker selon le dino bernois, tu sais le terrible dessin du Kritiker en train de se goinfrer de Créatifs, tout ça va vers un certain relatif quand tu ne cesses de bouger dans l’panoptique a passé cinquante, soixante balais – et tout à coup ma Jackie t’as un Administratif qui débarque dans ton service avec une tumeur comac et c’est pour toi ce soir-là…
À lire non moins urgemment: 121 curriculum vitae pour un tombeau. L'Editeur, 446p.
À commander fissa: Portraits, le versant pictural du roman. L'Editeur, 2011.