Chérie, Il Y A De La Raclette Sous Le Lit.

Publié le 01 mars 2008 par Mélina Loupia
Il est dix-huit heures bien rondes lorsque je rentre d'un après-midi  exténuant d'enregistrement radio  où mon tortionnaire de collègue  m'avait  fait subir les pires  tortures phoniques. Aucune envie particulière de préparer un bon repas de week-end en famille, Copilote ayant mérité de poser sa quatrième semaine de congés payés après les soldes et les arrêts de maladie de ses potes de taf. Pourtant, avec toutes les recettes que je me tape toutes mes nuits d'insomniaque néophyte sur CuisineTv, j'aurais de quoi faire, j'avais d'ailleurs rempli mon chariot l'avant-veille dans cette perspective de renouveau culinaire. Mais pour l'heure, j'ai juste l'irrésistible envie de m'enfiler un quatorzième café et de fumer ma cinquième cigarette quotidiens. C'est alors maman, que je pensais bien avoir croisé sur la route en revenant, qui vient confirmer que c'était bien moi qu'elle avait croisé sur la route en partant. "J'allais boire le café, tu me suis? -Oui, mais cinq minutes." Vingt minutes et un gros bisou plus tard, je me rassois à l'ordinateur et c'est Arnaud le premier qui crie famine. "On mange quoi? -Je sais pas, raclette? -Ouais! Super maman!" C'est le premier mot qui m'est sorti de la bouche, je sais alors que je viens de prendre un énorme risque, celui de décevoir mon morfale en cas de pénurie de fromage et de charcutaille. Par chance, un demi-kilo tranché de raclette premier prix se gèle les miches dans le congélo et il ne reste plus qu'à trancher du jambon de pays du pays. Pour les patates, le jour où j'en manquerai dans ma maison, c'est qu'on aura touché le fond. Celles que j'ai, des Rosa Bella sont un peu germées, mais feront l'affaire. Pendant que le fromage reprend forme humaine dans le micro-ondes, je pèle les tubercules avant de les mettre entières à la vapeur dans la cocotte. Lorsque vient l'heure décente du repas, tout est prêt. Au détail près que j'avais eu la molette de temps de décongélation un peu lourde et des quarante tranches de raclette, il n'en restait plus qu'une très épaisse dans le paquet prêt à exploser et enfumer toute la baraque. Sévère mais juste, je décide de prendre la responsabilité de retailler la masse en tranches fines et de faire le service pendant que tout le monde fait son mix dans les assiettes, en pestant contre maman qui fait n'importe quoi dans cette maison depuis qu'elle travaille à la radio. Le repas a duré près d'une heure et je me suis retrouvée en exil forcé sur le canapé dès vingt et une heures, seule, avec Marilion , mes doigts enduits de raclette et le flacon de Fébrèze Plaisir D'Air "Rosée du matin" à portée. J'ai même eu du mal à garder mon naturel et son galop sur Seesmic, tant la peur que mes doigts tombent, asphyxiés, ou se décharnent sur le clavier ou encore se collent dans mes cheveux, que je tortille souvent le soir, morte de fatigue. On déplore tous les hivers des victimes du monoxyde de carbone que l'on retrouve inanimées au petit matin dans leurs lits, tombées dans un sommeil duquel elles ne se réveilleront jamais. Prise de panique, j'ai donc emboucané la maison jusque dans ses moindres recoins du Fébrèze. J'ai vidé une bombe entière. On est jamais trop prudent. J'ai déconseillé aux enfants et à Copilote le dégazage sauvage pendant cette nuit, au cas où un mauvais mélange de gaz rare ne nous fasse tous sauter et tout le monde un peu barbouillé est allé se couché, le cul et le nez serrés. Sept heures quatorze, un drôle de gargarisme inhumain m'extirpe du rêve de gloire dans lequel je descendais le chemin de service qui longe ma maison, acclamée par une dizaine de concitoyens qui scandaient mon nom, chacun un transistor vissé à l'oreille gauche, au travers duquel ma voix nasillarde diffusait l'agenda culturel de nos campagnes. "Putain mais c'est quoi ce bruit bordel de merde? -Moi, surtout, c'est l'odeur, j'arrive pas à définir si c'est de la merde ou du vomi, ou les deux, ou du lait caillé, un vieux claquos qui a coulé, ou les trois. -Chérie? Je crois qu'il y a de la raclette sous le lit. -Impossible, on l'a toute finie hier soir et j'ai donné les menus restes aux chats. -Mais y a Maurice aussi, sous le lit. -Qu'est-ce qu'il peut bien foutre avec de la raclette? -Justement, je pense qu'il a bien compris pour une fois que depuis l'opération, plus aucune proie n'a d'intérêt." Je consens à me baisser et je tombe littéralement nez à nez avec le contenu d'une bonne assiette savoyarde composée de gras de jambon de pays, de raclette avec sa peau, de patates et quelques croquettes apéritives. Le tout prédigéré, donc mixé, prêt à être servi à température idéale. "Merci Maurice." Copilote et moi nous sommes affairés au ménage de la chambre, entre sept heures trente et huit heures, heure à laquelle il s'éveille à peine en semaine. "Tain, j'ai plus sommeil. -T'as qu'à nous faire un café, quand je te le porte le matin, tu le bois, tu me dis qu'il est bon mon café, tu me prends pour ton pote Gringo, tu te retournes, tu poses deux ou trois mines et tu te rendors. Peut-être ça marchera aussi pendant tes congés? -Là, j'ai juste envie de déposer un gros renard dans les chiottes, mais je vais commencer par faire le café." J'ai bu son café, ai remercié son ami Gringo, ai lâché une caissette, me suis retournée et rendormie jusqu'à dix heures. Lorsque je me suis levée, la folie du ménage s'était emparée de Copilote. Il avait vidé le lave-vaisselle, sorti la poubelle, fait le plein du poêle, rangé le bordel du petit déjeuner et tassé les coussins de Ténérife  à la façon de Tony Danza dans "Madame est servie". J'aime cet homme quand il défonce les coussins à poings nus. Il est quatorze heures sept, nous n'avons pas revu Maurice qui est sorti enfumer la terre devant la terrasse, peut-être la pelouse plantée au printemps dernier poussera-t-elle sous l'effet de la raclette? nti_bug_fck