Rhapsodie panoptiques (7)
...L’Taulard ce qu’y mijote ces derniers temps, moi j’sais pas trop, mais le sûr c’est que ça se passe tout dans la forêt, dans l’trafic avec des gens, peut-être, peut-être même de l’autre côté du mont. Tu sais ça, Tonio, tu sais le genre Farinet, et l’Bagnoud sait ça aussi, c’est une vieille affaire suisse tout ça : c’est de ça que me parlait le vieux dino dans l’arrière-salle du Hirsch, dit Le Cerf, cette année-là, quand Sean Penn a sorti sa version de La Promesse; on s’était retrouvés là grâce au cher Otto qui s’était installé dans les bonnes grâces de l’affreux Dürrenmatt à cause du diabète - tu peux pas imaginer la fraternité du diabète, Tonio mon frère -, et là pour la première fois je m’étais retrouvé en face du rhino féroce, je ne te dis pas l’impression sur ma timidité même s’il n’y avait rien chez lui que de la grosse nature forestière du sanglier et rien du tout de condescendant, tout à fait comme on l’a vu à Apostrophes genre patapoffe bernois, et voilà qu’il me parle de l’Esprit de bois et de Farinet. Enfin quoi tu te marres, l’Taulard ! Farinet ! …
...L’idée était de s’éloigner. L’idée était de s’écarter du Trend, comme ils disaient. L’idée était de se tenir un peu à l’écart. Pas tout à fait hors du coup, mais sur les bords. L’idée était de se garder, non pas une porte de sortie mais un balcon en forêt, et c’est ce que je voyais ces jours du Taulard: qu’il s’éloignait. L’Taulard a coupé les ponts de Facebook, et d’une. Et de deux: L’Taulard s’est éloigné de l’Imagier à ce qu’il semblait, mais ça c’était son histoire. On a commencé à se parler moins avec l’Imagier et avec l’Taulard, c’était notre histoire à nous vu que j’étais pris pour ma part et de plus en plus par l’idée de ma forêt à moi qui s’étendait là-bas dans le multimonde ramifié. L’Taulard se faisait de nouveaux amis concrets, alors que je vivais avec des gens de papier. Et j’me retrouvais une fois de plus, Tonio de mes deux, dans la situation d’la souris papivore que raille Zorba le Grec, tu t’rappelles puisque t’en es là toi aussi, nous en sommes là les plumassiers paperassiers avec nos lubies genre rhapsodies, Zorba construit son téléphérique et nous ne sommes pas bons à l’aider en matière d’ingénierie, comme on dit aujourd’hui, nous sommes les improductifs de l’arrière, les rêvassiers plumassiers juste bons à filer la phrase et encore, ça se discute, c’est très disputé dans les cercles, c’est ton verbe contre le mien dans les cercles, enfin tout ça pour dire que le Taulard et l’Imagier, à s’éloigner, commençaient à mieux m’apparaître en silhouette, ça c’est la loi du genre : plus le Sujet s’éloigne et mieux tu l’vois…
…J’ai pensé pas mal à tout ça ces jours pendant que l’automne filait ses ors fins et le tramait brocart avec des orangés et des pourpres que c’était du jamais vu, ou du moins c’est ce qu’on se disait vu que chaque année ça s’aggrave en beauté. J’veux dire : chaque année que tu prends dans les artères l’monde est plus beau, ça tu peux l’noter Blacky, et ce n’est pas la Limousine qui me contredira si tu vas l’interviewer – on en a pianoté toute la soirée d’hier soir, avec la Limousine, pour se nous les raconter, les ors et les violets de nos soirées à mille kils à vol de gerfauts, tu l’notes Chokito : on s’est jamais vus qu’en photos la Limousine et moi et la converse est pourtant familière et pour ainsi dire jardinière, c’est cela même : on est au jardin, c’est ce que disait la veuve de mon cher Marcel, t’sais Tonio, Marcel Aymé que tu kiffes aussi, pour causer comme Kiddy et Blacky, après que Marcel a clamsé Madame disait donc : Marcel est au jardin, et pour nous c’est du kif avec la Limousine, on ne se connaît depuis bientôt des années que par Facebook, elle est aussi vioque que moi ou peu s’en faut – je n’ai pas vérifié, j’connais le nom par cœur de ses petits chatons Noé et Théophane, fils de son fils et de sa fille, j’connais tout ça par cœur, j’ai vu ses portraits au jardin et face à la mer, elle n’aime pas trop que j’l’appelle la Picarde vu qu’elle préfère son Limousin d’origine AOC pays des troubadours et compagnie, bref ce que j’voulais dire c’est que plus on se prend de lignes sur l’aubier et plus la beauté de tout ça nous crève les yeux à nous faire mal, non mais des fois……Des fois j’me dis, et j’le dis à Lady L. sur l’oreiller, que personne n’a jamais peint ça comme ça, j’veux dire : comme c’est, même pas elle, qui ne se prend au demeurant ni pour Dürer à l’aquarelle, genre La Grande Touffe, ni pour Rembrandt non plus : j’veux dire le Rembrandt des arrière-plans. Vers cinq heures du soir ces soirs, vus de La Désirade où nous créchons, ce qui se montre en train de disparaître est comme une prière en couleurs, nom de bleu de nom de spectre. L’buzz du moment dit que la tendance du moment serait l’parfum Tendance justement, d’la fameuse ligne Tendance à quoi tu ne peux échapper si tu veux rester dans l’Trend. L’buzz dit que l’parfum Tendance est le seul parfum réellement éthique. Si tu te brumises au parfum Tendance tu vas maximiser ton potentiel éthique : c’est marqué sur la pub et le flacon et l’buzz pavlovien se répand dans le multimonde et là tu t’sens déjà plus cool dans l’moule, t’es de l’éthique tribu – bref l’buzz dit tout ça mais nous autres les attardés, les indolents contemplatifs à la mords-moi, nous les bohèmes improductifs nous n’avons que ça : ces couleurs à chialer et cette descente des moires et des nuances et toutes les années nous reviennent au pinceau, mais comment peindre ça nom de Dieu ça c’est un secret que même le buzz ne peut pas percer…
…L’idée aurait été de dire tout ça mais ce n’sera pas évident, comme ils disent dans les plateaux intellos, le soir à la veillée télé. Dire la beauté ce ne serait pas se contenter de l’euphorie-minute genre J’aime/J’partage de Facebook, tu sais, Maxou, la maxi confrérie du j’partage qui te classe du coup de la bonne bordure. Dire que la beauté fait mal rien qu’à se montrer sur un visage ou à la face du ciel, j’sais bien Blacky : ça fait pompier, ça te fait marrer, mais voilà que tu t’mets à raconter, toi, comment ton oncle ruiné guette avant l’aube l’apparition du disque orangé et le salue en marmonnant son m’bassa sorcier, ça j’ai noté dans tes nouveaux écrits et c’est donc que c’est de partout la beauté comme ça qui fait mal, on n’en a pas parlé hier soir avec la Limousine mais c’est de ça qu’il était question entre nos textos pianotés à point d’heures sur Facebook, et voilà ce que je vois ce soir à la fenêtre de mon antre de La Désirade et que j’balance aussitôt en image numérique sur Facebook où des flopées de tondues et de pelés vont y aller de leur j’partage, non mais j’rêve, t’as vu ce que je vois, t’as vu ce psaume déjà cerné de noir, t’as vu ce show Grand Pano, plus cliché tu meurs et pourtant ça te fouaille, si ça insiste tu vas dire à nos mères défuntées de se bouger qu’elles rappliquent à la fenêtre mais ça ne se peindra pas, ça ne s’est jamais peint que dans les cœurs tout ça et déjà ça ricane au fond du zinc, ça c’est sûr vu que la beauté c’est tout relatif et baratin, qu’ils disent à genoux devant leurs beautés de papier genre Miss Univers, et tu sais quel buzz se faufile ce matin, non mais tu vas tonitruer de ton rire jusqu’à Kinshasha , Bona : l’buzz c’est que Mister Univers serait sur l’point de faire son coming out, si ce n’est déjà colloqué dans l’Guiness 2011…
…Au déclin du jour j’en étais donc toujours là, tout con, sur le chemin de traverse conduisant de la Datcha de La Désirade à l’Isba qu’à tracé le Taulard, à regarder le crépuscule faire son job, et c’est alors que l’Taulard et l’Imagier ont réapparu, pas moins éberlués et silencieux que Lady L. qui nous avaient rejoints, et l’buzz même a fait silence, là ça virait mystique tu m’diras mais même pas, c’était juste comme ça à n’y pas croire et c’était là, comme nous étions là, tu peux m’croire……Ce matin que je clapote tout ça sur mon pianola numérique, je sens que j’pourrais commencer, pas plus tard que demain, ce roman panoptique auquel je songe depuis des années, qui m’permettrait de tout dire – rêve idiot de vieil ado, j’te le fais pas dire mon Tonio. Même que j’y ai repensé le 11 septembre dernier, tandis que ça commémorait tous azimuts genre l’Homme qui tombe - le retour. On s’dit tous les jours, les souris papivores et compagnie : demain j’commence le roman du siècle, pas moins. J’balance un Edelweiss à la Limousine par Facebook et la Limousine y va avec 1888 autres amis-pour-la vie de son : j’partage. Et c’est ça qu’est rigolo : ce partage. Ma Lady, l’clochard que j’suis la partage pas, sauf en peinture. Mais c’est ça justement ça qui nous fait partager pas mal elle et moi, et tous ceux qui se tenaient hier soir au bord du ciel du multimonde à mater l’show de la fin du monde de ce jour qui ne reviendra pas ça c’est sûr : c’est tout ça qui se peindra jamais et que personne, jamais, n’dira…