Peut-être que c'est ça qui fait reprendre la mayo ce matin. Mais je m'en fous, je vais la balancer à l'évier définitivement. Ça durera pas. On se sauvait en faisant le gros dos aussi. Mais les clopes, oui, trésors d'ingéniosité pour trouver des coins où les fumer dans le bahut. La scarification : à chaque beigne reçue on se gravait un truc sur le bras à la pointe du compas en étude, style je t'emmerde, ou merde, ou con, ou enculé, ou, pour adoucir, le prénom d'une fille. Pas trop évident de se scarifier à 12 ans car c'est bête comme chou mais ça fait mal si on veut que le mot reste. Et puis y'avait trop de trucs dans nos poires, dans ma propre poire. Violence dans ce pitoyable lycée, mais au-dehors Francis Joseph Spellman, cardinal-archevêque de New York préconisait publiquement le bombardement atomique de Hanoï, la prison de Camiri m'était aussi proche que la place du Foirail, tant de trucs moches sur une Terre qui me semblait si moche.
Alors y'avait le mythe qui nous sauvait, qui me sauvait. Des mots vrais. Des mots pleins bourrés à ras-la-gueule d'une telle force symbolique qu'ils me remplissaient, me foutaient une pêche d'enfer, des noms propres et des noms communs : Rimbaud, Dylan, Vian, Brassens, Kerouac, Brando, ciel, océan, filles, mais ceux-là : "Bonneville" pour Triumph "Bonneville" et surtout "Commando" pour Norton "Commando". Dans le coeur, à l'intérieur des murs de ce lycée, toutes les routes, tous les chemins du monde, tous les possibles !