Rhapsodies panoptiques (8)
… « Nuage apparut en trombe tout en haut de la rue tombant en pente comme du ciel à la mer, voyou et sa voyelle sur la Kawa, elle lui serrant le pilon dur sous le cuir, elle aux cheveux du Cap Vert et aux yeux pers et lui le frelon rapide et sa cam en bandoulière qui ferait de lui le sniper des images en mouvement, et tous deux crièrent Sancho ! leur cri de guerre, et le film en projet fut lancé, la Kawa rugit elle aussi, le compte à rebours des producs pourris allait commencer, qui avaient déjà mal préjugé de la belle paire : on était loin avec ces deux-là de Sailor et Lula, loin en avant, à nous la vie et la poésie pétaradant - et j’avais noté, moi le romancier qui-dit-je, j’avais noté sur un bout de papier, dans mon coin, ceci qui lançait pour ainsi dire le roman du Voyou et de sa Voyelle : « En l’honneur de la vie aux funèbres trompettes, j’entreprends d’écouter, dans mon corps, jour par jour, l’écho de ce futur qui ne cesse de devenir du passé , dès qu’on le touche,»…
…C’était le 11 septembre dernier, Tonio, je t’avais dit que j’avais commencé d’écrire, ce jour-là, quelque chose de nouveau dans la foulée de Nuvem, le film de Basil Da Cunha, et ce quelque chose avait été ce début de story me glissant soudain sur l’écran d’ordi de haut en bas mais comme en suspension, genre l’homme qui tombe qui, depuis quelques jours, avait recommencé de tomber et retomber de tous les côtés vu que ça commémorait partout à outrance dans les médias, donc je pensais à cette image de l’homme qui tombe et du coup une autre image s’y était superposée, du voyou tombant du ciel avec sa voyelle, et là je m’étais dit que ça pourrait amorcer ce roman panoptique auquel je rêvais depuis quelque temps, tu sais ce roman qui dirait le monde et le plus ou moins immonde du multimonde – donc j’m’étais mis dans la posture du romancier-qui dit-je et je m’étais lancé tête baissée dans ce que j’imaginais une épique évocation de l’époque comme il ne s’en fait plus assez qu’au cinéma – et dans la foulée j’avais écrit que le monde et l’immonde se dévoileraient sur les millions de petits écrans connectés de la ville-monde, j’avais écrit que je passerais des heures à regarder ça à n’en pas croire mes yeux, j’avais écrit que tout ce qui jusque-là se cachait se montrerait là, que tout serait arraché au secret, que tout s’étalerait, que l’obscène deviendrait la scène à faire sans interruption même de publicité car tout deviendrait publicité du pareil au même, tout deviendrait égal, tout pourrait s’empiler, tout deviendrait n’importe quoi – et dans la foulée la phrase des Carnets de mon ami Théo m’était remontée à la gorge : d’ailleurs c’est bien simple, écrivait ainsi mon ami Théo : ou bien les hommes sont ouverts, c’est-à-dire infinis, ou ils sont fermés, finis, et dans ce cas on peut les empiler. Ou en faire n’importe quoi…
…Tu connais la chanson aussi bien que moi, Tonio, j’entends : la chanson de la story, la vieille obsession de raconter mais comment désormais - la question de plus en plus ressassée du comment raconter le monde, et toi aussi, et le Kid aussi, et Blacky, et l’affreux Popescu et Bona Mangangu et Douna Loup aussi tous les jours y achoppent, et chacun y va de son essai, Bona se glisse dans la peau du Caravage, Lamalattie dans la sienne à lui, tous ils se trémoussent et ça donne ce que ça donne genre Symphonie chaotique pour un monde dont on ne voit plus bien où il commence et finit ni par quel Haut ou quel Bas commencer de le raconter…
…L’homme qui tombe depuis dix ans et le Quichotte à moto se lançant avec sa Dulcinée en quête d’un nouveau film pourraient se filer comme une story de l’époque, m’étais-je dit ce dernier 11 septembre, mais ce que je me suis dit, ensuite, c’est que j’aurais à raconter surtout l’à quoi bon de l’époque ou la vérité plus composite de l’époque, le compliqué de l’époque, le tordu et le tendu de l’époque en crise en veux-tu et voilà - tout ce que Basil me raconta, descendu de sa Kawa des hauts quartiers où il était allé faire valoir son nouveau dossier aux producs, tout ce qu’il m’a raconté ce soir au Café des Abattoirs, à picoler avec son amie du Cap Vert, et tout ce qu’il espérait tirer de tout comme tu m’as dit, Tonio, le tout de ce que tu espérais concentrer dans Ramdam, tout ce qui se passe sous nos yeux pendant que le pauvre homme tombe sans tomber – mais comment raconter tout ça ?
…Ils en sont tous là les griots et les griottes à la manque de l’époque en manque de soi, et ce n’est pas Bona, ce n’est pas Blacky, ce n’est pas Jackie ou Lady L. qui me diront que j’attige : on va tous à tâtons sur les brisées de Tati et compagnie dans la grande surface mondialisée, on titube comme la toupie de l’enfant au toton, on rejoint Lamalattie dans l’humour de la situation et le sourire radieux de l’avenir plus ou moins foireux tandis que Levy & Musso jouent l’produit…
… Nuage restera le rêveur de là-bas, dans le bidonville lisboète d’un court métrage de Basil Da Cunha, sauvage selon mon cœur s’il en est. La story de Nuage est l’poème le plus simple et le plus doux dans ce biotope décavé de voyous et de voyelles. Avec Basil j’suis entré dans La Chambre de Vanda de Pedro Costa, genre pas loin des abattoirs, dans la zone industrielle aux hangars pleins de sans-papiers et de filles genre Russes ou Roumaines, pour tout dire très mauvais genre tout ça mais saignant la story. Et Costa j’te dis pas, Tonio, ça se lit plan par plan comme du Cavalier en plus noir et bleu vert grenat : c’est du feu et de la chair de fer et ça ne bouge presque pas mais ça vibre de par dedans et dans l’air – c’est par là que la vraie story passera, j’entends : l’Histoire des Gens et des Lumières…
…De l