Des pilotes déchaînés, une belle fille, une empoignade dans le premier tour, des bolides, le souvenir de pilotes qui firent vibrer les foules… Une nouvelle pour les lecteurs de 11 à 111 ans et plus.
« Nous étions sur la ligne de départ, concentrés à l’extrême », se souvient Éric Trélor, ami d’enfance du pilote. Le circuit commençait par un virage à droite à fond absolu suivi d’un gauche 90. L’important pour chaque pilote était de réussir un départ canon pour rentrer le premier dans le gauche. Après, le tracé était si sinueux et si étroit qu’il serait très difficile de doubler avant le retour sur la ligne droite du départ. A mon emplacement, le bitume était parfait. Pas de poussière, pas de terre, pas de graviers, pas de risque qu’un pneu cire à l’accélération ».
Tous les pilotes connaissent la tension des dernières secondes avant le départ, l’instant où le peloton va bondir vers le premier virage. Gare aux accrochages, gare aux empoignades.
La pression du départ
- Le rythme cardiaque s’accélère, reprend Éric. Parfois, ton regard croise celui d’un autre pilote. Ou tu l’ignores comme si tu ne faisais même pas attention à lui, ou tes yeux expriment le défi que tu lances à l’adversaire, au rival à qui tu veux montrer ta supériorité. Mes yeux croisèrent ceux de Ronan deux mètres à ma droite. Qui de nous deux voulait le plus gagner ? Lequel s’imposerait devant la belle Sarah, une fille superbe pour la préférence de laquelle nous étions des rivaux acharnés. Elle était si belle, Sarah avec ses yeux vert d’une douceur infinie, ses longs cheveux bruns qui flottaient sur ses épaules, son sourire d’ange, ses formes parfaites qui valaient bien celles de Gina Lollobrigida, au moins dans nos esprits…
Éric marque une courte pause avant de reprendre son récit.
- Plus que 30 secondes, plus que 15 secondes, plus que 5 secondes. Le drapeau bleu, blanc, rouge s’abaissa et nous nous ruâmes vers le premier droite. Nous étions quinze à participer à cette course sauvage organisée par mon grand-père Victor dans des ruelles et sentiers de Lanester. C’était en 1964, l’année où Jean Guichet et Nino Vaccarella remportèrent les 24 Heures du Mans sur une Ferrari 275 SP, où John Surtees devint Champion du monde de F1, où Paddy Hopkirk et Henry Liddon gagnèrent le Rallye de Monte-Carlo avec une Cooper S. J’appuyais sur les pédales de toutes mes forces. Je savais que j’avais très peu de chances de gagner. En toute logique, je devais finir 5ème ou 6ème. La victoire devrait se jouer entre Freddy et André. Freddy avait douze ans, André, Ronan et Dominique onze, et moi seulement dix. A cet âge, quelques mois de différence comptent. Freddy était déjà au lycée, mais comme c’était mon meilleur ami, il se mêlait toujours à nos activités le jeudi.
La brune compte pas pour des prunes
A ce stade, le lecteur se demande sûrement qui était la belle Sarah ? Il serait inhumain de faire durer le suspense plus longtemps. Sarah, c’était une vieille de 22 ans qui travaillait comme vendeuse à la boulangerie. Elle plaisait beaucoup à Éric et à Ronan, même si la différence d’âge rendait toute relation sérieuse impossible, d’autant que la belle était déjà mariée avec un type de l’Aéronavale affecté à Lann Bihoué, un détail qui n’empêchait guère Éric et Ronan de faire les jolis cœurs et de rivaliser de charme à la boulangerie, chacun aspirant au rang de préféré de la jolie Sarah. Comme la course commençait à 14 heures et que Sarah ne reprenait son travail qu’à 15 heures 30, elle était venue apporter son soutien à ses deux plus jeunes admirateurs.
- Ronan a réussi un départ canon, rapporte Éric. Il est sorti du droite en tête. C’était un costaud, de taille moyenne, mais bien charpenté, un blond qui portait les cheveux courts à l’époque, avec quelques taches de rousseur qui lui donnaient l’air un peu espiègle quand il souriait. J’étais plus grand que lui mais moins costaud. Je m’étais pas mal débrouillé au départ et je crois que j’étais deuxième. Dans la ligne droite d’un peu moins de cent de mètres avant le gauche, André et Freddy m’ont doublé et ils sont aussi passés devant Ronan. Le gauche approchait. Dominique, un autre costaud qui se distinguait surtout au foot mais avait des cuisses comme disent les commentateurs de courses cyclistes m’a débordé aussi. Je n’ai pas insisté, je me suis déporté tout à gauche, et quand il a freiné pour tourner, je me suis infiltré à la corde en m’appuyant sur lui. De l’autre côté de la piste, un drame se jouait. Vexé de s’être fait remonter par André et Freddy, Ronan a tenté le tout pour le tout. II a voulu revenir à leur niveau au freinage et les tasser pour tourner. La manœuvre était osée, car c’est très délicat de s’imposer en faisant l’extérieur. La première phase de la tentative s’est bien déroulée. Mais au moment de freiner, Ronan s’est trouvé sur une plaque de graviers. Il a tiré tout droit dans une espèce de grange où était garée la Peugeot 404 injection gris métallisé toute neuve d’un jeune marin pêcheur heureusement parti quelques jours en mer. Le choc était inévitable. Ronan a heurté l’aile arrière de la 404. Nous étions en short et maillots à manches courtes, comme dans une course cycliste officielle. Bilan, le genou gauche et le coude gauche bien écorchés plus un gros hématome sur l’extérieur de la cuisse droite pour Ronan et une rayure de 75 centimètres sur l’aile arrière gauche de la 404…
The Race must go on
La course se poursuivit pourtant. Comme the show, the race must go on. Elle ne durait que deux tours d’un peu plus d’un kilomètre dans les ruelles et sentiers du quartier, donc pas très longtemps de toute façon.
- J’ai fini 3èmeraconte Éric. Freddy a battu André parce qu’il avait un meilleur sens des trajectoires que lui. Moi, j’ai bénéficié de l’incident de course du premier virage avec Dominique. Lorsque nous nous sommes accrochés, je lui ai involontairement donné un coup de pédale dans le mollet. Il saignait un peu, il avait mal, et il ne pouvait plus m’attaquer. En plus, comme il a passé le reste de la course à fermer la porte à Charles, un grand très sportif qui espérait jouer le podium, il m’a protégé de son retour et de ses attaques. Après l’arrivée, je me suis excusé auprès de Dominique. Je voulais juste m’imposer en force au freinage, pas le blesser. Dom a toujours été un gars extraordinairement sympa. Il ne m’a même pas reproché la brutalité de mon attaque et il s’est contenté de lancer un « c’est la course ». De toute façon, on ne grandit pas sans se faire mal. Sarah a amené les deux blessés - Ronan et Dom - chez elle pour soigner leurs plaies et ecchymoses. Je les ai accompagnés. Malgré notre amitié, Ronan et moi étions rivaux dans le cœur de Sarah. Quant à Dom, il risquait de devenir un concurrent supplémentaire. Les filles sont sensibles aux types qui souffrent. Pas question de laisser Ronan et Dom profiter de leurs blessures pour marquer des points auprès de ma jolie Sarah.
La 404 aussi bénéficia de soins attentifs. Très ennuyé par l’incident que le propriétaire de la voiture et des parents des gamins de la petite bande risquaient de lui reprocher, le grand-père Victor répara les dégâts. Il était carrossier et vint nuitamment avec un de ses ouvriers maquiller la rayure de la 404. Le maquillage aurait-il tenu aussi longtemps que le reste de la peinture ? Pas sûr. Mais il arrive que le hasard fasse bien les choses. Trois semaines plus tard, le propriétaire de la 404 rata un virage à droite sur la route de Plouhinec. La 404 fit une excursion dans le fossé avant de partir en tonneau dans le champ derrière. Par chance, ni le conducteur ni sa fiancée qui l’accompagnait ne furent blessés. Et le lendemain, la voiture fut amenée à l’atelier de carrosserie du grand-père Victor. Il fallait la passer au marbre et refaire toute la peinture. Personne ne découvrirait jamais plus les menus dégâts causés pas Ronan.
Quelques années après, Ronan recevrait le surnom de Ronnie à cause de son admiration pour Ronnie Peterson, un des plus grands attaquants de toute l’histoire de la Formule 1. Freddy, Éric et Ronnie feraient tous de la course automobile. André deviendrait skipper. Freddy Vivien accéderait au plus niveau, la F1. Éric Trélor deviendrait un gentleman driver qui piloterait dans de nombreuses disciplines, de la course de côte à l’endurance en passant par le rallye. Des sorties de piste, Ronnie en connaîtrait d’autres. De toute façon, un pilote qui ne sort jamais n’est pas un super bon, car il ne va pas au bout de ses possibilités. Ronnie réaliserait aussi de belles performances. Il ferait même équipe avec Éric dans des épreuves de véhicules de collection, mais ça, c’est une autre histoire…
QUELQUES LIENS A SUIVRE
Le temps a passé depuis l’enfance de Ronnie, Éric, Dom et les autres. Je vous propose une autre fiction dans laquelle apparaissent André et Freddy, bien des années plus tard. Le personnage principal en est David Sarel, un des héros récurrents de mes romans. David est le filleul d’Éric. Les personnages de fiction vivent dans leur univers. Ils évoluent, comme les vrais gens et traversent de nouvelles aventures.
Les vacances au temps de l’enfance de Ronnie, Éric Dom et les autres. Une ballade illustrée sur les plages à l’époque tourbillonnante des sixties
http://circuitmortel.hautetfort.com/archive/2010/07/index.html
Et bien sûr, n’hésitez pas à lire les notes précédentes relatives à mon dernier roman, GARE A LA MAIN DU DIABLE, un thriller jeunesse teinté de fantastique dont l’action se déroule dans l’univers de la course au large, un livre que vous pouvez aussi découvrir sur :
http://circuitmortel.hautetfort.com/archive/2011/07/30/gare-a-la-main-du-diable.html
CHICANES ET DÉRAPAGES DE LORIENT AU MANS, un thriller où Éric et Freddy, devenus adultes, jouent des rôles importants
http://www.endurance-info.com/article.php?sid=2844
Je vous invite enfin à découvrir un autre univers de fiction dont des adolescents gourmands, amateurs de DS et de Cooper sont les héros
http://circuitmortel.hautetfort.com/archive/2009/11/06/le-retour-de-la-ds-citroen.html
Thierry Le Bras