Magazine Journal intime

# 15 — “enfin le temps perdu qu’on ne rattrape plus”

Publié le 02 décembre 2011 par Didier T.
# 15 — “ENFIN LE TEMPS PERDU QU’ON NE RATTRAPE PLUS”

Étant tout à l’intérieur de moi un modèle d’honnêteté intellectuelle (quelqu’un a dit “ah bon?”), en tant qu’existant siphonant l’essence je me vois contraint, à mon cul défendant, de céans poser la # 15 de ce que je suis devenu en pendant (si j’ose dire) à la # 44 que je fus.

Pile et face, en quelque sorte.

Ça devrait parler à tout le monde, chacun à sa manière. Ouais, c'est ma tournée.

Allez, à la sieste...

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Arriva un jour où je perdis mon boulot de cariste dans l’automobile, après “deux ans de bons et loyaux services en CDI”, comme dit David Pujadas à l’heure de la soupe, juste après Romejkooooooo.

On fut plein dans la boîte à le perdre en même temps, notre travail —4o licenciements sur 1o6 salariés, avant on appelait ça un ‘plan social’ mais de nos jours ça s’intitule un ‘PSE’ (Plan de Sauvegarde de l’Emploi —oxymore primesautier, n’est-il pas?). Je prèfère ‘plan social’ à PSE, m’en voudrez pas. Ce fut mon premier et hélàs pas mon dernier, de plan social, alors comme pour tout dépucelage j’ai essayé de me montrer attentif, comprendre un peu ce qu’il se passe et comment ça fonctionne en face, en retirer des conclusions intelligibles et si possible pas trop manichéennes —mais c’est pas le propos.

Un des bons côtés du plan social c’est que le jour où tu rends la clef de ton casier, tu ressors avec un chèquos... un ‘golden parachute’ version prolo. 1o5oo €, j’ai reçu. Ah oui, quand même, pour un mec payé 1o7o €, c’est pas rien, dix mois de salaire en une seule fois, surtout si tu te retrouves un taff illico, comme ce fut le cas pour moi. À ce régime-là, on peut me plansocialiser deux fois par an, je dirais pas non.

Avec les sous du plan social dont j’ai été la victime du patronat sanguinaire qui se goberge sur ma sueur d’exploité, on a décidé d’acheter une voiture qu’on n’aurait jamais pu se payer sans l’ultralibéralisme de casse sociale antipopulaire de ces salauds de capitalistes vendus à la Commission de Bruxelles made in Bolkestein. Il nous fallait une bonne bagnole fiable, pour mon nouveau boulot de sortie de labyrinthe, situé à 22o kilomètres de notre maison à crédit et revendue depuis, à perte mais sinon ça aurait été encore pire —il a fallu que j’insiste pour que la Patronne comprenne, je vous assure que j’ai connu plus feune dans la vie.

Comme on est suffisamment aliénés de classe pour ne pas pouvoir se montrer capables de rancune et encore moins de révolte envers l’automobile française, on a acheté une Renault. Une Renault pépère, on n’a plus 2o ans. Un Scénic. D’occase, forcément. Mais une occase récente, on pouvait avec mon “golden parachute” de pue-la-sueur. Elle est belle cette voiture, toute nickel, un diesel, 7oooo bornes, 89oo € cash, “payez-vous, mon brave”. Et depuis, évidemment, je croise les doigts pour que ce ne soit pas moi qui occasionne le premier poque dedans.

Un truc à quoi je n’avais pas pensé quand on l’a achetée, cette voiture, c’est que quand je la conduis on ne croit pas que c’est la mienne. Autant dans la 4L fourgonnette y’a rien qui choque la populace de m’y voir assis derrière le pare-brise, autant dans le Scénic nickel, certes...

La première fois qu’elle m’a vu dedans c’est la Patronne qui me l’a fait remarquer, par son rire. Et puis après elle a dit:

— “Au volant, même Columbo choquerait moins l’œil.”

Ah, c’est flatteur... Mais je reconnais que c’est un peu de ma faute. Question louque, c’est vrai, en ce moment, avec mes bouclettes sur les épaules, ma barbe de quatre jours et mon djine-ticheurte-espadrilles, quand j’ai les cheveux dénoués je ressemble à un altergiscardien de retour du Népal, une dégaine à passer inaperçu dans une merguez-party anti-OGM.

— “Pour un Bayrourier Noir, tu te tires une sacré tronche caricaturale d’extrême-gauche... c’est de la provocation!”, qu’elle dit.

— “C’est pour brouiller les pistes”, que je lui réponds, “comme ça en cas d’insurrection zapatiste je peux fastoche infilter les ‘lutte finale’ ou ce qu’il en reste, hé, histoire de pouvoir réussir un strike en une seule giclée de lance-flammes.”

Et puis quand je les attache, mes cheveux, là elle dit que je tire une tronche à hurler “ausweis!”. C’est aussi pour brouiller les pistes, comme ça, en cas d’insurrection übermensch, j’enfile un casque à pointe et une veste en cuir et je peux fastoche infilter les défenseurs de la race pure ou ce qu’il en reste, hé, histoire de pouvoir réussir un strike en une seule giclée de lance-flammes. Coup de latte à l’extrême-droite, coup de latte à l’extrême-gauche —bwana, ça y’en a êt’ belle et bonne sociale-démocouhassie du XXIè siècle qu’a pas encore montré l’ampleur de ses possibilités, c’est à craindre.

Bref, dans tous les cas de figure capillaire, visuellement je ne suis pas raccord avec le Scénic, mais c’est pas grave, hein, dès que possible je me remets à la 4L et tout rentrera dans l’‘ordre juste’, comme on disait avant la vague bleue.

# 15 — “ENFIN LE TEMPS PERDU QU’ON NE RATTRAPE PLUS”

Y’a quelques jours, je circulais à la grande ville. Dans le Scénic nickel. Vitre ouverte passqu’il faisait chaud. J’avais une cassette dans l’autoradio, “l’albatros fou” de Gilles Servat, “plusieurs fois il fallut mettre à sec pour calfater, remâter ou recoudre”. C’est une bande que j’ai enregistrée il y a quinze ans, “l’albatros fou” —et vu qu’il restait de la place après Servat, comme je fais toujours j’avais à l’époque rajouté deux-trois morceaux pour boucler la face B après la dernière de ‘l’albatros’, une digne version du “foggy dew”, “and from the trees of Brittany all the birds are singing for you”. Et il se trouve que l’une de ces chansons-tampon pour boucler la bande, c’est “antisocial” de Trust. Hein?... oui, bon, d’accord... mais rââââh, ’foirés... relisez la # 44, on a le droit d'avoir des souvenirs, merde.

Et voilà-t-y pas que dans les rues de la grande ville, arrêté à un feu rouge avec ‘antisocial’ qui passait à un niveau sonore conforme à ce qu’il faut, dans mon beau Scénic je vois sur le trottoir deux djeunzz qui se marraient comme c’est pas permis en me montrant du doigt.

J’ai mis cinq secondes à comprendre pourquoi ils se foutaient de ma gueule, ces petits trous du cul.

Stoïque, j’ai attendu que le feu soit passé au vert.

Et vingt mètres plus loin j’ai enclenché ‘le Canon’ de Pachelbel, histoire de pouvoir à mon âge circuler la tête haute parmi les feux rouges de la grande ville.

Vivement le retour de la 4L fourgonnette, ça...

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Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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