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L'biotope

Publié le 04 décembre 2011 par Jlk

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Rhapsodies panoptiques (12)

…Avec l’Taulard et l’Imagier ça a été longtemps notre sujet de conversation Number One, l’biotope. J’veux dire en gros : la sphère et les bulles. On n’aura pas assez d’un délire pour expliquer ça, mais c’est à ça que servent les nuls inutiles de notre genre: à dire ce qui bulle dans le multimonde aux sphères…

…À présent c’est dimanche donc on trime dur dans l’biotope des proches du gang ancillaire, aux étages d’en bas de la Datcha la domesticité brique parquets et lambris tandis que Lady L. s’active aux préparations culinaires, partout s’activent les servants de la forêt et environs, l’dimanche est une magie même pour ceux qui sautent la messe ou le culte même à la radio ou à la télé, nous Dieu ce matin c’est dans le Grand Nettoyage du biotope qu’on le convoque, Dieu nous ce matin c’est l’Mister Proper du biotope, j’veux dire qu’on s’est tous pris dans les bras tôt l’aube, puis on s’est mis aux affaires, chacun la sienne, on ne se marche pas dessus, l'architecture aux architectes, et les musiciens, les maçons, les lingères et les luthiers - nous c’est de toute façon la Maison du Bon Dieu, y a chez nous que des gens qui s’aiment et tous connectés à pleins de sites d’Amour et tous accros à Facebook, donc ça fait des cercles comme sur l’étang étale de l’Etant, ça fait des ondes aussi dans l’éther éternellement en éveil, Lady L. m’envoie un SMS de l’entresol pour m’annoncer  qu’y a plus de pâte bio pour ma tarte aux pruneaux mais j’y dis que c pas grave : qu’elle la pétrisse elle-même ; à l’instant l’Taulard chantonne Sweet Memory à l’unisson de Tim Buckley et ça nous rappelle encore d’autre cercles et d’autres sphères qui s’emmêlent dans l’biotope de nos affectivités polymorphes d’hier et de demain - et là comme dans un défilé à 24 images secondes j’vois passer toutes les smalas des années en allées, tous les amis perdus et refondus, toutes les liaisons foirées de toutes celles et ceusses qui sont venus et n’ont pas vaincu c’est-à-dire tout le cheptel des Quatre Sens de la Vie  – et v’là le brouillard qui remonte le long du val mais dans une trouée j’aperçois là-bas un coin des tombes de nos mères et pères et v’là que le jeune Quentin m’envoie par mail une image de l’église-container de Trona, cube de tôle, écrit-il à la page 82 d’ Au point d’effusion des égouts, croix dessus : « Aucun vitrail, aucune fenêtre ! Qu’une très grande porte rouillée qui hurle sur ses gonds. Aucun parvis. De la poussière. Le milieu du désert. Au bord d’un lac séché depuis deux siècles. Le sable qui grimpe en haut les murs… Et des grillages autour… L’intimité des fidèles… Avec des barbelés ! Ce n’est pas à rire… Je n’y ai vu personne. Aucune messe. Aucun psaume. Un container rouillé – sans fenêtres, sans fidèles – sans Bon Dieu. Si j’étais Christ sur le retour, j’irais sûrement jamais le faire ici ! », et ça nous fait mal à tous qui croient plus ou moins à tout ça: l’biotope de l’extrême sans vie, le non-lieu sur le mur duquel le prêtre, qui fait ce qu’il peut, a collé une banderole fauchée au supermarché d’à côté et qui l’annonce comme un péché: « ouvert le dimanche »…

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… Or l’dimanche, tu t’en doutes Jackie, toi qui trimes à l’hosto toute à la coule de tes fins-de-vie, l’dimanche à la Datcha de La Désirade et à l’Isba c’est notre jour pour ainsi dire expansé vu que ça devient l’biotope de l’intime sans barbelés ni gardiens ni cheffes de projet ni foutre rien – rien que la rêverie des jean-foutres que nous sommes en somme, à l’exception de Lady L. qui veille au grain. Lady L. qu’est trop soucieuse je trouve. Que je lui rappelle depuis deux vies de chiens et deux filles pas moins soucieuses qu’elle l’est. Mais le dimanche des majorettes c’est pour vous aussi que j’leur répète ! En vain ! Tout l’boulot de rêver nous revient, les mecs, et c’est comme ça que l’biotope ancillaire vit son premier dimanche d’hiver enneigé…

…Ce que j’veux dire, évidemment, c’est l’génie du lieu, tout autant que son contraire que me figure, ce matin, l’église-container de Trona – c’est ce bonheur et cette misère que j’aimerais dire en même temps vu que tout est relié. D’un clic, ce matin, ce fin youngster de Quentin m’a envoyé cette image de l’église-container de Trona, qui m’a pour ainsi dire scié. C’est cela qui nous arrive, ce n’est pas que Gaza ou Guantanamo qui nous arrive : c’est ce container vide dans le désert déserté de notre mémoire dévastée…

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… Ce que j’voudrais dire c’est ce qui fait que tu te sentes bien là ou tu es à l’instant et pourquoi. Ce qu’on pourrait dire la recherche d’une maison. Ce qu'on pourrait dire se construire un feu style Jack London. Ce que Charles-Albert appelait l’habitus. Notre façon d’habiter bien. Notre droit primitif au cabanon à tous les sens du terme, entre cabane au Canada et pension d’Etat de Robert Walser chez les timbrés pour ne faire que rêver. T’es là sur ton canapé de cuir vert genre Oblomov préalpin. Lady L. peint des primevères. L’Taulard te raconte ses histoires de taule et t’résume le nouveau Sloterdijk. T’sais les fameuses sphères, les écumes de nature et les écumes humaines, les aphrosphères et l’bazar néomonadologique qu’il a creusé en taule en écoutant Radiohead et consorts. Puis l’Imagier t’annonce qu’il va repartir se faire quelque temps de ville-monde dans son quartier chinetoque de la Porte d’Italie, ça lui fera du bien de retrouver ses bougnoules et ses métèques, comme il dit, Michel le flûtiau et ses filles sénégalaises, toute l’Afrique et famille…

 …Ce que j’dirai encore c’est que le biotope d’avenir serait la tribu du Kid, genre moujiks bohèmes comme nous le sommes à l’accueil des boys de Number One et Two, ou l’dojo des enfants du Gitan ou la nacelle rue de Berne de Blacky et de son chum, ou l’arche centenaire de Tonio et son clan, j’veux dire: la cellule élémentaire qui fasse tomber les murs virtuels de la prison suissaude, j’entends cette espace habitable que tu reconstruis tous les jours contre l’esprit d’bureau et tous les matons qui te matent…

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…La Suisse friquée et l’Amérique policée je n’aime pas leur façon de te mater, l’Gitan, toi qu’es l’plus libre des chauffeurs de taxis vu que t’es jamais pris même quand t’es givré – et c’est ça que les pharmaciens te reprochent à la fois : d’être libre et ne jamais te faire prendre par les collaboratrices et les collaborateurs de notre aimée Police – et tu sais que je ne blague pas : que j’apprécie notre aimée Police à vrai dire mille fois plus que les flics uniformisés sans uniforme qui se matent les uns les autres et s’impatientent de se dénoncer et de se faire payer mutuellement leur médiocrité…

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…Cette image de l’église-container me fusille et me fascine tandis que le jour décline sur ce dimanche de toutes les bontés. Je n’blague pas camarade Quentin. T’as l’âge de nos filles autant que le Kid ou que Blacky, que Bruno, que Matthieu, qu’Yvan  ou que les deux Sébastien, que Douna que je devine à l’autre bout du lac ou que Basil le descendant des conquérants lusitaniens, mais ce n’est pas absolument par gâtisme ou goût pédophile que je vous mate et vous surveille de mon œil panoptique et pour ainsi dire affectueux – c’est votre faute si j’vous kiffe du moment que je vous flaire du pareil biotope…

… Tu m’disais un soir, l’Gitan, que j’avais en moi un puits de larmes, et je suis joyeux ce soir de percevoir ce même œil noir chez des enfants perdus de ce siècle qui ne s’en laisseront pas conter plus longtemps dans le biotope désastreux. Genre Guerre humanitaire. Bénédictions au Jerrycan ou au Chihuahua. Tout ce froid de blanchiment des consciences. Tout ce gel mortel…  

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…L’biotope c’est pas compliqué, la Limousine, mon occulte amie que je ne connais que par Facebook et que j’sais quelqu’un de bien, l’biotope tu le sais, c’est bonnement notre lieu de vie. L’biotope c’est l’intime accordé. Dans l’premier livre de ce garçon teigneux et lumineux qui m’a secoué ces derniers temps, prénom Quentin, fils de Mouron l’artiste aux noirs argentés, je suis bluffé, touché, remué de trouver le radical constat de la destruction massive de l’intime et de la dignité, avec cette gravité pesante, insistante, candide et sentencieuse, lucide  et virulente des youngsters intransigeants…

Image Quentin Mouron: l’église de Trona, Californie.

Quentin Mouron. Au point d'effusion des égouts. Olivier Morattel, 137p.


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