Rhapsodies panoptiques (12)
…Avec l’Taulard et l’Imagier ça a été longtemps notre sujet de conversation Number One, l’biotope. J’veux dire en gros : la sphère et les bulles. On n’aura pas assez d’un délire pour expliquer ça, mais c’est à ça que servent les nuls inutiles de notre genre: à dire ce qui bulle dans le multimonde aux sphères…
…À présent c’est dimanche donc on trime dur dans l’biotope des proches du gang ancillaire, aux étages d’en bas de la Datcha la domesticité brique parquets et lambris tandis que Lady L. s’active aux préparations culinaires, partout s’activent les servants de la forêt et environs, l’dimanche est une magie même pour ceux qui sautent la messe ou le culte même à la radio ou à la télé, nous Dieu ce matin c’est dans le Grand Nettoyage du biotope qu’on le convoque, Dieu nous ce matin c’est l’Mister Proper du biotope, j’veux dire qu’on s’est tous pris dans les bras tôt l’aube, puis on s’est mis aux affaires, chacun la sienne, on ne se marche pas dessus, l'architecture aux architectes, et les musiciens, les maçons, les lingères et les luthiers - nous c’est de toute façon la Maison du Bon Dieu, y a chez nous que des gens qui s’aiment et tous connectés à pleins de sites d’Amour et tous accros à Facebook, donc ça fait des cercles comme sur l’étang étale de l’Etant, ça fait des ondes aussi dans l’éther éternellement en éveil, Lady L. m’envoie un SMS de l’entresol pour m’annoncer qu’y a plus de pâte bio pour ma tarte aux pruneaux mais j’y dis que c pas grave : qu’elle la pétrisse elle-même ; à l’instant l’Taulard chantonne Sweet Memory à l’unisson de Tim Buckley et ça nous rappelle encore d’autre cercles et d’autres sphères qui s’emmêlent dans l’biotope de nos affectivités polymorphes d’hier et de demain - et là comme dans un défilé à 24 images secondes j’vois passer toutes les smalas des années en allées, tous les amis perdus et refondus, toutes les liaisons foirées de toutes celles et ceusses qui sont venus et n’ont pas vaincu c’est-à-dire tout le cheptel des Quatre Sens de la Vie – et v’là le brouillard qui remonte le long du val mais dans une trouée j’aperçois là-bas un coin des tombes de nos mères et pères et v’là que le jeune Quentin m’envoie par mail une image de l’église-container de Trona, cube de tôle, écrit-il à la page 82 d’ Au point d’effusion des égouts, croix dessus : « Aucun vitrail, aucune fenêtre ! Qu’une très grande porte rouillée qui hurle sur ses gonds. Aucun parvis. De la poussière. Le milieu du désert. Au bord d’un lac séché depuis deux siècles. Le sable qui grimpe en haut les murs… Et des grillages autour… L’intimité des fidèles… Avec des barbelés ! Ce n’est pas à rire… Je n’y ai vu personne. Aucune messe. Aucun psaume. Un container rouillé – sans fenêtres, sans fidèles – sans Bon Dieu. Si j’étais Christ sur le retour, j’irais sûrement jamais le faire ici ! », et ça nous fait mal à tous qui croient plus ou moins à tout ça: l’biotope de l’extrême sans vie, le non-lieu sur le mur duquel le prêtre, qui fait ce qu’il peut, a collé une banderole fauchée au supermarché d’à côté et qui l’annonce comme un péché: « ouvert le dimanche »…
…Ce que j’veux dire, évidemment, c’est l’génie du lieu, tout autant que son contraire que me figure, ce matin, l’église-container de Trona – c’est ce bonheur et cette misère que j’aimerais dire en même temps vu que tout est relié. D’un clic, ce matin, ce fin youngster de Quentin m’a envoyé cette image de l’église-container de Trona, qui m’a pour ainsi dire scié. C’est cela qui nous arrive, ce n’est pas que Gaza ou Guantanamo qui nous arrive : c’est ce container vide dans le désert déserté de notre mémoire dévastée…
…Ce que j’dirai encore c’est que le biotope d’avenir serait la tribu du Kid, genre moujiks bohèmes comme nous le sommes à l’accueil des boys de Number One et Two, ou l’dojo des enfants du Gitan ou la nacelle rue de Berne de Blacky et de son chum, ou l’arche centenaire de Tonio et son clan, j’veux dire: la cellule élémentaire qui fasse tomber les murs virtuels de la prison suissaude, j’entends cette espace habitable que tu reconstruis tous les jours contre l’esprit d’bureau et tous les matons qui te matent…
… Tu m’disais un soir, l’Gitan, que j’avais en moi un puits de larmes, et je suis joyeux ce soir de percevoir ce même œil noir chez des enfants perdus de ce siècle qui ne s’en laisseront pas conter plus longtemps dans le biotope désastreux. Genre Guerre humanitaire. Bénédictions au Jerrycan ou au Chihuahua. Tout ce froid de blanchiment des consciences. Tout ce gel mortel…
Image Quentin Mouron: l’église de Trona, Californie.
Quentin Mouron. Au point d'effusion des égouts. Olivier Morattel, 137p.