L’histoire prend du retard. C’est ennuyeux. Entre...

Publié le 05 décembre 2011 par Fabrice @poirpom

L’histoire prend du retard. C’est ennuyeux. Entre anecdotes insignifiantes et images ratées volées, plein de friandises à partager. Les murs des chiottes, les premières soirées, la rencontre avec l’équipe locale (Sam et Berto), Mexi-queutard et sa libido, des cerfs-volants au mur, des gribouillis, une montagne verdoyante, une barbe… Des bricoles éparpillées qui traînent dans un coin de la tête.

Oui mais voilà: il y a parfois des impondérables.

Dans le guide d’accueil de Caracas concocté par la fine équipe de l’ambassade de France au Venezuela, il y a un court passage sur la circulation dans la ville.

Méfiance: après 21 heures, les règles élémentaires de circulation ne sont plus forcément respectées. Notamment les feux tricolores.

Calé à la place du mort, à trois heures et demi du mat’, ce doux euphémisme fait gentiment étirer les lèvres. Au départ d’Altamira, le mec se lance pleine balle sur l’avenue qui tire vers le sud. Et la double rangée de feux tricolores espacés de quatre cents mètres n’est, à aucun moment, prise en considération. Ni par le 4x4 qui précède, ni par le taxi, ni par les deux loupiotes blanches qui vibrent dans le rétroviseur.

Coup de volant vers l’ouest. Autoroute. 2x4 voies presque désertiques. Le mec au volant a une gueule de singe de l’espace. Les pommettes boursouflées, des points de suture sur l’arcade sourcilière, la lèvre inférieure fendue. Cette nuit, il travaille. Mais la nuit d’avant, ou celle d’avant encore, il devait sans doute être au Fight Club. Dans une cave crasseuse d’un barrio. Il s’est peut-être fait allumer la gueule par un serveur ou un éboueur. Là, dans son taxi, il respecte la première règle du club. Il n’en parle pas. Et il met les gaz. Son compteur de vitesses ne lui est d’aucune utilité. Puisqu’il ne fonctionne pas. Tout comme tout le reste de l’instrumentation du tableau de bord: calme plat du compte-tours, jauge à essence en sommeil, température moteur dans les chaussettes. Mais semelle de plomb. Et talkie dans une main, BlackBerry dans l’autre. Coup de bol, il a de grandes jambes. Donc des genoux parfaitement adaptés à la tenue d’un volant.

Le mec est serein. Tranquille. Comme un bœuf de Kobé nourri à la bière toute sa vie durant.

Les quatre voies disponibles sont un espace délicieux pour optimiser les trajectoires. Et le mec se gave. Il prend la corde à chaque courbe. Mais sa tôle s’en éloigne toujours. Méchamment sous-vireuse.

Record de vitesse battu pour atteindre l’aéroport de Caracas. Arrivée à 4h00, une heure de queue pour le check-in. À 6h30, l’avion s’engage sur la piste de décollage.

La veille, après quelques va-et-vients, infos contradictoires et discussions, décision confirmée dans un mail laconique de Mexi-queutard.

Dans un avion à la première heure demain matin. Direction Bogota. Projet pilote de samedi confirmé.

À 8h20, en amorçant la descente pour l’atterrissage, il y a du vert autour de l’aéroport, et des montagnes immenses qui encerclent la ville. Des gouttelettes d’eau scintillent sur le hublot. Vues du ciel, les routes qu’on peut apercevoir brillent. Beaucoup beaucoup. Bâtons et serpentins de miroir.

Au sol, le taxi est architecte depuis 2007. Mais réussir à faire ce qu’on aime prend du temps. Il roule prudemment, raconte sa ville par son architecture. Parcs pour enfants, bâtiments officiels, théâtres… En passant devant chaque édifice, une année de construction, un nom d’architecte, une démarche. Selon les endroits, la route est un miroir, une piscine ou un champ de mines après une bonne guerre - ravagé.

En ville, il esquive les grands axes, se faufile dans les petites rues avant d’arriver sur une grosse avenue, carrera 7, sur laquelle se trouve l’hôtel HILTON. Une quinzaine d’étages, une porte vitrée automatique de cinq mètres de haut, du petit personnel à foison. Un mec tient la porte, un autre dit bonjour devant l’entrée, un troisième accueille à l’intérieur et dirige les clients vers les trois réceptionnistes au garde à vous. Dont Diana, de longs cheveux bruns retenus par un élastique, des gros yeux manga et un sourire d’adolescente en émoi. Elle parle un peu le français, l’apprend depuis un an et demi mais ne le pratique jamais en dehors de ses cours. Alors, pendant les trois prochains jours, ce sera français en réception. Pour qu’elle s’entraîne.

Et elle sourit. Encore. Elle sourira toujours. En français ou en espagnol.

À 9h30, un sourire vient incendier l’espace petit déjeuner de l’hôtel. Celui de K-pu. Dont les cheveux sont, comme chaque jour de son existence, coiffés à l’explosif. Sa chevelure emmerde la géométrie.

K-pu. Vue pour la dernière fois à Cucuron, le trou de balle verdoyant et parfumé du Lubéron. Le bled au marché de Noël en plein mois d’août.

K-pu. Partie zoner chez les caribous avant de se faire embarquer sur le projet de Bogota.

J’ai du mal à trouver ma place.

K-pu. Qui a pris du gallon mais qui prend un peu cher.