Magazine Journal intime
Hygiène Bucco-Dentaire Et Pouvoir D'Achat.
Publié le 02 mars 2008 par Mélina Loupia
Maintenant que je suis salariée, mon pouvoir d'achat me permet non seulement d'assumer un découvert à la banque mais encore de pouvoir prétendre
au luxe alimentaire.
Si.
Armée de ma fiche de paye attestant du mérite de mon salaire, c'est avide de marques et d'achats téléguidés que je pousse mon chariot à travers les rayons des
Mousquetaires de la distribution.
Arrivée dans l'antre de l'hygiène et de la beauté, je frémis à l'idée de m'offrir enfin la brosse à dents dont j'ai toujours rêvé.
Le miracle de l'instant associé à celui du réapprovisionnement tout récent du rayon, je cède à mon obsession des couleurs et choisis la mienne en bleu
ciel, celle de Copilote sera bleu foncé. Que celle ou celui qui n'a jamais été seul tenté d'accorder les couleurs dans sa salle de bains me jette la première pierre, en
fonction de quoi j'aviserai et entamerai une analyse.
Ravie comme si je venais d'apprendre que les produits laitiers avaient vu leurs prix diminuer, je pousse le plaisir intense jusqu'à acheter le dentifrice qui va avec, pour tester
l'efficacité de l'objet dans les conditions optimales d'utilisation.
La brosse a dents est munie de rangées de poils à priori en bordel, mais savamment étudié pour reluire les chicots jusque dans leur intimité. Sur le dos se
trouve comme une râpe à fromage miniature sensée déloger les vilaines bactéries nauséabondes qui s'accrochent sur les papilles du muscle le plus érotique et sensuel du corps humain.
Le dentifrice, quant lui, se fait le garant de l'haleine fraîche et durable, grâce aux cristaux contenus dans la pâte et cohabitant joyeusement avec tous les principes dits
actifs qui font de nos dents ce qu'elles doivent être en principe.
Le passage en caisse s'est révélé surprenant.
En effet, le temps où je faisais défiler sous les yeux brillants et émerveillés de l'hôtesse de caisse l'équivalent des écrans de réclames de toute une journée avait été révolu depuis
plusieurs années.
Ce jour-là, on en a pris plein les mirettes elle et moi.
"Alors, vous allez l'essayer la brosse à dents qui racle la langue?
-Oh vous savez, c'est les enfants qui ont insisté, ils doivent trouver que j'ai un chat mort dans la bouche, alors je peux pas les traumatiser d'avantage, sinon vous savez moi, une brosse à
ongles et du savon me suffisent.
-Ah...Vous voulez que je vous retire le bon d'achat cumulé sur votre carte de fidélité?
-Y a combien dessus?
-Dix Euros.
-Oh, vous savez, moi, maintenant que je travaille, je suis plus à dix Euros près... Combien la plaisanterie me coûte aujourd'hui?
-293 Euros et soixante cents tous ronds!
-Allez va, faites péter les dix Euros, mais c'est bien parce que vous insistez... Maëlis.
-Ok!"
J'ai la sensation que tout à coup, le fait d'être rentrée dans le grand monde m'arrache une partie de la bouche, mais je pense que je finirai par m'habituer à être nantie de la sorte, que les
premières fois sont toujours désagréables et que je m'en fous puisque je suis imposable.
Sur quoi, après avoir engraissé l'Etat de cinquante Euros pour partir plus vite en fumée, je m'en retourne dans mes quartiers ruraux où m'attendent, chaussés, mes quatre garçons dans le vent,
chacun avec sa requête alimentaire sur le bout de la langue.
"T'as acheté du chocolat pour faire un fondant réussi?
-Et mes mouchoirs à l'eucalyptus?
-T'as pensé aux ampoules pour le groupe aspirant?
-Et mes pains au lait?
-Excusez-moi messieurs, je cherche la maison LOUPIA, où les garçons ne sautent pas à la gorge des filles.
-Oh allez maman, t'as pas gravi le Kilimandjaro non plus.
-Ah non désolée, j'avais pas loué de béquilles. Bon, vous m'aidez ou on mange dans la voiture?"
Le temps d'épuiser les stocks entamés des trois tubes de dentifrice et d'achever l'usure décente des poils de ma vieille brosse à dents, voilà que tout à l'heure, après deux cafés avalés,
j'inaugure ma nouvelle de station de lavage bucco-dentaire.
Je prends tout le soin nécessaire d'appliquer une noisette de dentifrice éclatant en tentant de le faire comme dans les publicités, j'humidifie l'ensemble pour garantir l'effet de mousse et
l'expression maximale de tous les arômes mentholés du dentifrice et l'introduis avec fébrilité dans ma bouche chargée.
Je brosse mon râtelier avec application, presque scolairement, rince à l'eau claire, renouvelle l'opération pour évacuer les restes mentholés qui piquent à mes yeux et retourne la brosse pour
passer à l'étape ultime du nettoyage de ma langue.
Je me rappelle alors cette réclame où une jeune effrontée se racle la langue avec un sourire éclatant e je me dis que la sensation procurée doit être agréable.
Ainsi, avec une certaine vigueur, je retourne la brosse et lui présente ma langue, les yeux rivés sur mon image inversée dans le miroir. Et je pars du fond de la langue, prévoyant d'aller vers le
bout.
A mi-chemin, ce sont les deux cafés qui sont venus aider la brosse à atteindre son but final.
Je n'avais pas songé que racler sa langue équivaut quasiment à se coller deux doigts dans la gorge pour permettre au contenu de l'estomac de faire demi-tour en cours de route, lorsque le poids
total en charge dépasse la limite autorisée.
"Maman, t'as vomi? T'as la gastro de Maurice?
-T'es enceinte?
-Pourquoi ça sent pas le café quand on vomit le café?
-Barrrrrrk, maman, t'en as mis sur le robinet, c'est dégueulasse."
Pour le coup, j'y suis pour me laver les dents une nouvelle fois.
Et pour me refaire un café.
Y a pas à dire, plus on gagne d'argent, plus on en dépense.