Voici plus d'un an que j'interviewe des artistes au gré de mes envies, de mes rencontres...
Pour la première fois en relisant cet interview, en le mettant en forme, j'ai pleuré. La gorge nouée, et l'émotion dans le coeur j'ai imaginé son calvaire, j'ai cru sentir ses blessures... mais comment le pourrais-je? Il faut avoir vécu son drame pour le comprendre. De ma place je ne peux qu'imaginer...
J'ai du mal à ne pas vous dire toute la compassion et la colère qui sont depuis en moi...
Pour cet auteur, pour cet homme, merci de votre lecture et je vous incite à acheter son livre, simplement parce que sa vie mérite un dénouement heureux. Et parce que son message doit être relayé.
Omar Ba est né au Sénégal.
Il y fait ses études jusqu'en 2000, année d'obtention de son baccalauréat. C'est alors qu'il décide de tenter sa chance en Europe convaincu que ce diplôme ne peut lui ouvrir la porte de la réussite. N'ayant aucun argument à donner aux services consulaires pour l'obtention d'un visa en bonne et due forme et surtout pris dans un quotidien marqué par un dénuement total, Omar décide de partir clandestinement à la quête de cet avenir «meilleur», l'Eldorado. Cette quête lui prend 3 ans. C'est ce périple long et douloureux, ponctué par d'expulsions successives et d'incarcérations parfois longues en Afrique du nord, en Espagne et en Italie qu'Omar BA raconte dans son livre intitulé Soif d'Europe publié aux Editions du Cygne.
C'est suite à une ultime expulsion vers l'Afrique qu'il décide de reprendre ses études malgré tout. Ainsi, il peut demander un visa étudiant qui lui permet de rentrer en France légalement en 2003. Ilprépare un diplôme de Sociologie à Paris.
Il a pour projet de faire carrière dans l'humanitaire tout en continuant à écrire.
Pitch du livre :
«
La Guardia
civil » nous confie à des Marocains en uniforme qui nous conduisent à El Ksar. L’endroit ressemble fort à un poste de police. Nous sommes traités pire que des bêtes. Une fois descendus du camion, on nous enferme dans une cellule. Les traces d’urine et d’excréments sont encore fraîches sur le sol. C’est le seul cachot réservé aux clandestins. On ne nous donne pas à manger. Nous n’avons droit qu’à une gorgée d’eau toutes les deux heures. »L’immigration clandestine africaine préoccupe et effraie l’Europe. Les hommes politiques en ont fait un point central de leurs programmes électoraux. Les journalistes, les intellectuels et même les artistes se sont également emparés de ce phénomène ; les uns pour décrire, d’autres pour dénoncer, quelques uns pour tenter de comprendre. Fait surprenant : rares sont les clandestins qui prennent la parole.
Omar, ton histoire est très poignante, j’aimerais que tu décrives en quelques mots ce que tu as ressenti en vivant cette forme d’exclusion ? Ce voyage, une quête pour rejoindre l’Europe ?
En quittant le Sénégal pour entamer ce périple j'avais l'amer sentiment d'avoir été poussé à la porte. Ni ma famille, ni mon pays ne m'ont donné ne serait-ce qu'une raison de rester sur ma terre. Car on ne quitte jamais les siens de gaîté de coeur. Mais paradoxalement je sentais une certaine fierté. J'étais fier d'aller chercher un avenir pour moi et pour mes proches. Ce sentiment m'a toujours permis de supporter les brimades, les passages à tabac et les comportements racistes à mon égard.
J'ai pu à chaque fois relever la tête en imaginant le bonheur qui m'attendait de l'autre côté de
la Méditerranée.
Maisj'avoue que souvent, j'ai eu envie d'en finir avec le supplice. Je ne savais que faire. Croyant, je ne pouvais pas mettre fin à mes jours; je ne pouvais pas non plus retourner au pays les mains vides. Il fallait que j'avance quoi qu'il arrive.
-Lorsque enfin tu es parvenu à tes fins et que tu t’es vu expulsé, j’imagine que tu as du être révolté ? Comment trouve t-on la force de persévérer encore ?
Ce qui est tout à fait révoltant dans la procédure d'expulsion c'est le fait qu'on t'attache à ton siège avec possibilité de te piquer si tu es récalcitrant. Dans le même avion, à tes côtés, sont installés tranquillement des citoyens du pays qui est en train de t'expulser. Eux sont libres comme le vent d'aller où ils veulent en Afrique, y compris dans ton propre pays. Sans visa s'il vous plait ! Une simple carte d'identité leur donne le droit d'aller et de venir comme ils veulent.
Forcément on est révolté. On se rend compte du « deux poids deux mesures » sur les papiers permettant de voyager. On se demande pourquoi on a la nationalité de tel pays plutôt que de tel autre. Il y a des passeports qui donnent tous les droits et d'autres qui n'en donnent aucun. C'est frustrant.
Sur le moment je me suis dit qu'il ne servait plus à rien de continuer à me battre. J'ai penséque même si je revenais, j’allais encore faire face à ce « deux poids deux mesures » sur nombre d'autres domaines. Mais quand la soif d'avenir te presse tu ne peux pas lui résister. C'est cet avenir que je pensais ne pas être pire que ce que je vivais qui m'a toujours donné envie de me battre et d'avancer.
-Tu as écris ce livre comme un témoignage, penses-tu qu’il puisse aider d’autre personnes à avancer malgré tout ?
Je ne sais pas si mon livre va servir à quelque chose, mais je le souhaite vivement.
Je l'ai écrit pour contribuer à casser l'image d'une Europe paradisiaque que l'on nous présente depuis notre tendre enfance.
J'ai la chance de savoir que cette présentation de l'Europe n'est que pur mensonge.
Je veux que ceux qui sont encore tentés par l'immigration, (légale ou clandestine) sachent à quoi s'en tenir. Il y'en a marre des mensonges imputables souvent aux Africains déjà installés en Europe. Une fois en vacances au pays, nombre d'entre eux mentent sur la vie réelle qu'ils mènent sur le vieux continent. Ils l'embellissent sciemment; ce qui ne fait qu'alimenter la soif d'Europe.
Je ne veux pas jouer aux donneurs de leçons pour autant. Je ne critique pas ceux qui essayent encore de venir. Je les comprends au contraire.
Simplement il est de mon devoir, eu égard de mon expérience, de jouer franc-jeu et de dire toute la vérité.
Je compte d'ailleurs, au cours d'un prochain voyage au Sénégal, acquérir un certain nombre d'exemplaires du livre que je donnerai gratuitement à des collégiens et lycéens que j'ai déjà ciblés. Au moins les jeunes qui le liront ne pourront pas dire: «je ne savais pas».
-Tu peux nous parler des conditions de ceux qui sont restés ? De cette fuite pour survivre ?
Nombreux sont encore ceux qui sont restés au pays et qui ont envie de venir. Ils restent pour le moment, soit parce qu'ils n'ont pas encore les moyens de venir -car même le passeur il faut le payer, et le billet est de plus en plus cher- soit parce qu'ils ont peur de finir dans l'océan.
Mais cette peur est de moins en moins présente. On passe outre; on la brave faute d'alternatives au pays. Les nombreuses funérailles sans corps ne m'ont pas dissuadé personnellement et elles semblent ne plus entamer la motivation de millions de jeunes désoeuvrés comme je l'ai été. Le fait est que quand une vie ne vaut pas la peine d'être vécue, tant elle est faite d'échecs successifs et de souffrances infinies, on n'hésite plus à la mettre en danger. Peu importe ce qui va nous arriver.
Dans ces conditions on cesse de penser et on se fie à son instinct.
Les nouvelles macabres qui passent dans les journaux télévisés ne dissuadent plus. Il en faut bien plus pour empêcher les jeunes africains de se jeter dans la gueule du loup. Et je ne vois encore aucune solution politique en ligne de mire.
-Tu suis actuellement des études de sociologie, que penses-tu faire ensuite ?
Je pense boucler une thèse afin d’obtenir un doctorat. Mais en même temps je vais continuer mon action. Sans aller jusqu'à encourager l'immigration clandestine, je me donnerai à fond pour que l'on comprenne qu'avant d'être un problème politique, ou une foule de statistiques, cette affaire est une souffrance personnelle profonde. Elle touche des jeunes forcés de quitter les leurs pour atteindre une Europe qui semble ne pas vouloir d'eux. Il n’y a pas de sensation plus désagréable que celle-ci.
Je pense que l’on n’arrivera jamais à une solution globale à ce problème si les élites africaines et européennes continuent de décider dans notre dos, sans nous consulter pour recueillir notre sentiment et notre détresse.
On se sent complètement délaissé.
-Comment as-tu rencontré ton éditeur ?
J'ai connu mon éditeur par hasard sur la toile. Mais, j'ai envoyé le manuscrit à pas mal d'autres éditeurs. Avec l’un d'entre eux nous avions même un peu avancé. Mais avec les Editions du Cygne, j'ai senti que j'étais mieux compris, que mon histoire interpellait. J'ai vite senti une empathie chez l'éditeur et chez le directeur de la collection «Esprits de liberté».
Ce dernier s'est entièrement investi en relisant de fond en comble le texte. Cet investissement personnel m'a décidé à travailler avec les Editions du Cygne.
Qui plus est, l'esprit de la collection dans laquelle mon livre est publié, à savoir la défense des libertés fondamentales, recoupe bien ce dont il est question dans «Soif d'Europe». C'est parce que l'on m'a refusé la liberté fondamentale de voyager et de circuler que j'ai décidé de le faire clandestinement.
-L’écriture est-elle une thérapie ou bien as-tu ce besoin d’écrire que ressentent les écrivains ?
Je peux dire que c'est une thérapie en effet. Parler de cette souffrance après tant d'années n'a pas été facile même si beaucoup d'eau a coulé sous les ponts.
Je comptais l'enfouir à jamais dansmon passé.
Mais les souvenirs me revenaient tel un torrent à chaque fois que j'entendais parler de l'immigration dans les médias.
J'ai donc pris la décision d'en parler. Au début j'écrivais sans intention de publier le texte. J'ai franchi le pas il y a quelques mois. Mais dans la versionpremière du manuscrit je me suis beaucoup censuré par pudeur sans doute, ou par peur de choquer. Par la suite j'ai pu ajouter des passages que je m'étais juré de ne jamais divulguer, surtout l'épisode de Melilla qui a été l'un des plus gros chocs psychologiques pour moi. Il reste toujours des moments difficiles de mon périple qui ne seront jamais connus du public. Je les garde pour moi.
-Comment as-tu travaillé pour mettre en forme ton histoire au travers des pages ?
Au début j'écrivais par bribes, selon les souvenirs qui me revenaient. Cela a fait que dans un premier temps le texte manquait de teneur et de chronologie. Dans ma tête tout était clair évidemment mais le comité de lecture des Editions du Cygne a vite décelé ce manque de fil conducteur. J'ai repassé plus d'un mois à travailler sur la chronologie. C'est alors que je me suis rendu compte que mon autocensure de certains passages du périple affectait sérieusement la cohérence du texte. J'ai pris sur moi pour encore livrer des détails forcément dérangeants pour moi.
Par exemple, j'avais fait l'impasse sur l'épisode où Mourad décide de jeter par dessus bord des passagers qu'il jugeait inutiles dans la pirogue.
Je me sens coupable jusqu'à présent de n'avoir rien fait pour l'en empêcher. C'est un moment difficile dont je ne suis pas fier du tout.
-J’ai pu constater que l’on parlait beaucoup de ton livre, il est sorti début février, quels sont les retours que tu as ?
Les retours sont essentiellement médiatiques. Pour l'instant je n'ai reçu qu'une invitation le 10 avril 2008 dans le cadre d'une réflexion sur l'immigration clandestine organisée par un réseau d'associations stéphanoises spécialisé dans la défense des droits fondamentaux. Sinon aucun des services, africains ou européens, que l'immigration est censée occuper à temps plein, n'a pris contact avec moi. Pourtant quand j'ai décidé de raconter mon histoire c'était aussi pour qu'elle serve à faire bouger les choses, même modestement. Je ne veux pas croire que mon expérience indiffère ces gens-là. Je ne désespère pas.
-As-tu envie de te lancer dans l’écriture d’un autre ouvrage ?
Oui je vais continuer à écrire. J'ai pris goût à l'écriture. Elle m'a aidé à soigner certaines blessures. Je n'ai aucune raison de l'abandonner. De toute façon en Sociologie on est un peu tenu d'écrire des mémoires, des rapports et des comptes rendus qui peuvent être publiables sous forme de livre grand public ou non.
D'ailleurs avant ce témoignage j'avais, en mai 2006, publié un livre intitulé «Pauvre Sénégal !». J'y décris la misère du pays et le dénuement extrême dans lequel on est forcé de vivre. Ce livre n'a pu paraître qu'en France. Il est interdit de sortie au Sénégal par le pouvoir en place.
-Quel est ton livre de chevet ?
Cela va paraître bizarre mais mon livre de chevet c'est «Soif d'Europe: témoignage d'un clandestin». Ce n'est pas du narcissisme. Cela me fait du bien de me relire sans arrêt. J'ai l'impression de dompter ces durs souvenirs, de les tenir entre mes mains et de pouvoir en faire ce que je veux.
-Habituellement ma dernière question tourne autour du bonheur, je demande à mon interviewé de me dire si aujourd’hui il est heureux, s’il a encore des rêves à accomplir… Quels sont les tiens ?
J'essaie d'être heureux. Cela fait 5 ans que suis légalement en France. Je sais combien il n'est pas facile de s'en sortir surtout quand on est étranger. On dit que la société française est verrouillée mais je pense qu'elle l'est encore plus pour une certaine catégorie de personnes dont je fais partie.
Mais si j'ai appris une chose dans la vie, c'est qu'il ne faut jamais baisser les bras. Mon rêve le plus fou serait que l'on puisse vivre dans un monde ponctué de respect pour l'autre quelle que soit son origine ou la couleur de son épiderme.
«Le respect», je ne demande que cela. Le monde serait nettement mieux comme ça.
Je te souhaite un joli succès, ton histoire est plus que touchante et j’aimerais que plus jamais d’autres n’aient à vivre ce genre de voyages… Je te souhaite de trouver le chemin qui te soignera de tant de maux… Et que tes blessures aident chaque être.
Retrouvez Omar sur son blog.