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Voyage au bout de la nuit

Publié le 09 décembre 2011 par Voilacestdit

Post d'Alexandre : un témoignage poignant de Bolivie dans l'enfer des mines

Un grondement sourd et lointain envahit l'espace étroit. Nous sommes pliés en deux, les pieds dans l'eau.  Seules les lampes frontales déchirent d'un halo étroit l'obscurité compacte. La guide crie "Vite ! Plaquez-vous sur les côtés !". Le grondement augmente, puis tel un spectre, le chariot de métal, chargé de 250kg de cailloux, déboule sur les rails défoncés. Il manque de dérailler à chaque instant. Deux fantômes sont accrochés derrière. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Plus loin dans les galeries, nous rencontrons les mineurs. Ils travaillent à la pelle, à la pioche, d'arcboutent sur les chariots pour les faire remonter quand nous avons du mal à progresser sans rien porter. Nous sommes à 4303m d'altitude. Il fait 40°. Bienvenue aux mines d'argent de Potosi, en Bolivie, où les techniques et conditions de travail n'ont pas vraiment évolué depuis que les conquistadors Espagnols y ont tué plus de six millions d'Indiens à la tâche, faisant au passage la richesse de l'Europe. Nous pensions avoir vu le pire avec les porteurs de souffre d'Ijen, sur Java. Nous n'avions pas vu Potosi. La mine n'est plus assez rentable, et n'intéresse plus les grandes compagnies. Alors les mineurs travaillent en coopérative : chacun touche ce qu'il extrait, retranché du coût de son matériel personnel (casque, lampe, dynamite, etc.) et des installations communes. A la fin de la semaine, pas grand chose pour survivre.  Je pose la question : "Jusqu'à quel âge travaillent-ils ?". Réponse : "Oh, ils meurent en général à l'âge de 45 ou 50 ans". Ainsi donc on travaille jusqu'à la mort (comme ce décalage entre la réponse et la question en dit long !), et on meure jeune de maladies pulmonaires. C'est la règle et tout le monde la comprend. De toute façon, quel autre choix ? Je me demande si cette auto-exploitation n'est pas encore pire que l'exploitation par une entreprise.

Un peu gênés d'être les témoins de ces tortures, nous distribuons aux mineurs croisés ça et là quelques denrées de grande valeur pour eux : feuilles de coca à mâcher (elles font oublier la faim, la soif, la chaleur, la fatigue), alcool (à 96° !) pour les fêtes de fin de semaine, bâtons de dynamite -- dialogue surréaliste souterrain : "Ola ! Vous n'auriez pas un peu de dynamite par hasard ? - Si, justement. Voilà. - Merci. Bonne journée!". Avant la visite la guide nous avait proposé de faire ces emplettes, pour 1€ par personne. Les trois Israéliennes qui complétaient notre petit groupe avait refusé cette dépense. Bienvenue dans le monde réel.

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Je me crois en enfer, donc j'y suis

Rimbaud, Nuit de l'enfer


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